Elle portait une petite robe de coton à fleurs qu’elle n’a plus jamais remise. La date, bien sûr, elle s’en souvient : 22 janvier 1995. L’écrivain Zoé Valdés a quitté Cuba ce jour-là. Son mari, le cinéaste Ricardo Vega, et leur fille d’un an et demi, Luna, l’accompagnaient. Zoé dirigeait une revue de cinéma et avait naturellement appartenu au monde des apparatchiks. Elle se souvient de s’être agenouillée devant un hiérarque pour obtenir l’autorisation d’emmener Luna. «Tu promets de rentrer, hein ?», ricana-t-il. Elle pâlit. «Mais non, c’est une blague…» Ils ont de l’humour, là-bas. Le roman qui fit sa gloire, le Néant quotidien, était écrit. Elle décrivait la grande dépression cubaine de ces années-là, ce sentiment profond que chacun avait de fuir de partout. En partant, elle laissait sa mère. Son père vivait à New York depuis 1983. Il y est mort vingt ans après. Zoé est montée dans l’avion en sachant qu’elle ne reviendrait pas. Inutile de lui demander les détails, ils viennent seuls : «Nous sommes partis tôt le matin. Il faisait très chaud à La Havane et très froid à Paris. Une valise était pleine de livres, dont la Recherche de Proust, moins Sodome et Gomorrhe,qui n’avait jamais été publié à Cuba. Je n’avais que 20 dollars en poche et je voulais pouvoir lire sans payer.» A l’aéroport, l’autorisation de sortie de Luna n’était pas arrivée. L’enfant se mit à danser parmi les touristes en chapeaux de paille, on rigola, le militaire les laissa passer. Aucun exilé n’oublie les
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