Quarante-six ans que Viviane Pinto-Ezagouri attend. Qu’elle voudrait savoir. Qu’elle ne sait pas. «Je suis une fille écorchée à vie», dit-elle. Quand un de ses fils s’énerve, il l’appelle «5 juillet, 5 juillet», ou «Oran, Oran». Oran donc, le 5 juillet 1962. L’Algérie n’est plus française, elle vient de voter son indépendance. Dans la ville à majorité européenne, les jours sont sombres, l’OAS comme les indépendantistes ont multiplié assassinats et attentats. Ce 5 juillet, après trois jours enfermés, les Européens sortent à nouveau dans la rue. Viviane a 17 ans, son père Joseph Pinto 58, il est agent commercial pour une société américaine. Il veut humer l’atmosphère. On ne le reverra plus jamais, victime du massacre qui a visé ce jour-là les Européens. Viviane a plus de chance. Avec son petit ami Henri, qui deviendra son mari, elle est ramenée chez elle. «Je suis une rescapée», dit-elle. Le lendemain, avec sa mère, elle fait les hôpitaux, la morgue. Rien, «aucune trace». «On a été confrontés à un mur de béton.» Il tient toujours. Elle croit d’abord que son père a été enlevé – le sort de beaucoup des disparus. «Tout le monde cherchait. On n’avait pas de réponse. Ou alors : “On vous tiendra au courant.”» Pendant un mois, elle se promène dans la rue avec une photo de son père, espérant croiser quelqu’un qui l’aidera. Puis elle quitte Oran pour la France, avec sa mère et ses deux frères. «On a peur. Sur le bateau qu’on avait surnommé “l’Exodus”, il n’y a que des familles de dis
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