On ne peut pas dire que le mariage fut très heureux. Voilà cinq ans que Libé occupait un bâtiment gris coincé entre le périph, un hôpital et le ministère des Armées, aux portes de Paris, dans le XVe, quartier qui vote plutôt à droite. On a connu noces plus riantes. Cinq ans et c’est fini : le journal déménage cette semaine. Avec le divorce vient le temps du bilan : tout n’est pas si sombre évidemment. Et travailler ici nous aura au moins permis de rencontrer Alain Fonteneau. On l’a tout de suite reconnu. Un corps sec, des lunettes rondes, un contraste entre un air concentré et des mèches folles : cet homme qui passe l’aspirateur entre nos bureaux, qui vide nos poubelles, qui passe la toile à la cantine, qu’on voit pendant ses pauses sur le canapé défoncé de la rédaction en train de lire Libé («surtout le portrait de der, d’ailleurs», assure-t-il), c’est lui. C’est l’un des héros des Glaneurs et la Glaneuse, le documentaire d’Agnès Varda.
En 2000, la réalisatrice consacre un film aux précaires qui se nourrissent de nos rebuts, ramassant les fruits jetés, les pommes de terre non conformes, s’habillant en fouillant dans les déchets. Au pied de la tour Montparnasse, elle tombe sur Alain Fonteneau alors qu’il ramasse, par terre, les restes du marché. La réalisatrice l’aborde, lui demande pourquoi il a pris autant de persil. «C’est très bon pour la santé, lui répond-il. C’est plein de vitamine C, E, bêta-carotène, fer, zinc et magnésium.» Varda es