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Libération
Portrait

Albin de la Simone, polysons

Musicien, chanteur, dessinateur et auteur, le Picard déploie une inspiration délicate et facétieuse qui n’élude pas les questionnements.
Albin de la Simone à Paris, le 2 mai 2025. (Dorian Prost/Libération)
publié aujourd'hui à 15h30

Exaltante, la parution printanière du livre Mes battements révèle la verve subtile d’un auteur, doublé, pour qui n’était pas déjà au parfum, du regard drolatique et aiguisé d’un dessinateur… Que l’on connaissait d’abord en qualité de musicien aguerri, instrumentiste, producteur ou arrangeur au service de la fine fleur de la scène française. Avant, à l’aube du XXIe siècle, d’entamer une carrière de chanteur en son nom propre, autant que pittoresque. Mais pour bien planter le décor échevelé, il faut encore en ajouter au panorama d’Albin de la Simone. Un huitième album, revisitant titres perso ou empruntés (à Johnny Hallyday, Salvatore Adamo…). Une tournée où, en ubiquiste qui se respecte, l’acrobate s’est mis en tête de jongler avec un clavier penché, une guitare, sa voix frêle et une tablette connectée à un écran derrière lui. Une exposition conséquente de dessins, encres ou aquarelles au Frac Picardie à Amiens (avant Paris, cet automne), autre consécration pour le garçon jadis formé aux arts plastiques à Tournai, en Belgique. Et même un roman-photo, les Amours de Machérie, pastiche imaginé par l’écrivaine Marguerite Abouet dans lequel il incarne un clodo parisien catapulté en Côte-d’Ivoire.

Moralité : plus de trente ans après sa création, la dernière page de Libération ne pouvait pas décemment continuer de tourner le dos au couteau suisse – quoiqu’originaire des Hauts-de-France – d’un paysage culturel hexagonal rarement porté par une seule et même personne à un tel degré d’ébullition créative. «Je vois dans tout ce que j’entreprends une dimension artistique, même en cuisine. Parallèlement à la musique, le dessin a fait son retour dans ma vie et le texte est venu comme ça. Il m’a fallu dépasser la quarantaine pour avoir l’impression d’être devenu adulte et dix ans plus tard, je me sens toujours bien dans mes baskets», cadre Albin de la Simone, devant un cocktail maison vermouth tonic sans alcool (qu’il a «un peu arrêté»), siroté dans le bric-à-brac coloré du petit salon de son domicile parisien – un appartement avec jardin, au rez-de-chaussée d’un immeuble banal.

«En définitive, je crois savoir qui je suis en étant parvenu à m’échapper de boucles qui m’enfermaient à de mauvais endroits, après être passé par la psychanalyse, les séparations, la paternité… Tous ces moments où l’on a l’impression d’être tantôt une merde, tantôt sur un nuage», développe d’un sourire entendu celui qui fredonne des Epaules «pas bien gaulées, pas baraquées».

Antidote de cette figure du mâle alpha, dorénavant dans le collimateur, que la figure totémique Alain Souchon a autrefois incité à sauter dans le grand bain, Albin de la Simone jouit d’une réputation flatteuse. Ainsi le perçoit-on d’un commerce agréable, dans lequel infuse une bonne dose d’autodérision, maniée avec tact, telle une arme de séduction massive. «Je m’aime et me comprends sans doute un peu mieux à travers le regard des autres, auprès de qui on peut très bien se vanter en faisant marrer», admet le claviériste et bassiste qui, expert revendiqué de la capture de mouches à mains nues, étale pareillement sa fierté d’avoir rencontré, à 15 ans, la légende panafricaine assassinée Thomas Sankara, dans le cadre d’un voyage scolaire au Burkina Faso. Comme d’avoir joué sur scène au côté d’Iggy Pop, de Carla Bruni, de Vanessa Paradis ou «devant 150 000 personnes, dans des stades d’Afrique de l’Ouest» de Salif Keïta. Ou, dans un tout autre registre, d’avoir récemment assisté, «fasciné pendant deux heures, à une opération du cerveau, pratiquée par un copain neurochirurgien» qui l’avait convié à l’intervention.

«La dimension humaine du personnage est vraiment chouette», étaye Claire Pommet, alias Pomme, dont Albin de la Simone a customisé l’album à succès les Failles en 2019. «Il sait masquer l’ambition et le sérieux derrière une légèreté apparente. De même que d’une allure sage, presque immuablement enfantine, peuvent jaillir un humour parfois limite trash, ou des discussions sur des sujets profonds», abonde la chanteuse qui, sept ans après une première rencontre à Montréal, continue de chérir une «relation précieuse» résistant à des échanges plus espacés dans le temps.

L’évocation de l’enfance n’est, en outre, pas anodine chez Albin de la Simone qui, dans l’autobiographique Mes battements, en exhume plusieurs épisodes teintés d’adversité, ou d’incompréhension. Pas évident dans la campagne picarde de porter un nom à particule, en décalage avec un profil autrement roturier. La longère à vingt minutes d’Amiens où vit la famille n’a rien d’un palace et si des voitures anciennes sont garées devant, ce sont des modèles rafistolés puis revendus par un père fantasque, également pilote de coucou et clarinettiste de jazz émérite. Une figure comme sortie d’un film de Rappeneau, «épuisante, extravertie, amusante, charismatique», qui scénarise «une enfance assez dingue» mais ne simplifie pas l’émancipation du fils cadet, que les posters de Stallone dans la chambre ne suffisent pas à protéger d’une «discrimination» convertie en coups et quolibets par les gamins du village.

«Plus en phase avec la sensibilité de notre mère, férue d’arts plastiques, Albin n’adhérait pas aux attentes de notre père qui, dès lors, craignait de le voir faire des mauvais choix. Il argumentait sans cesse, s’accrochait, ce qui générait des tensions. En fait, le fils courait sans doute après une reconnaissance paternelle, tout en essayant de s’en détacher», se souvient Sandrine, la sœur aînée, aujourd’hui styliste et graphiste, qui, quelques décennies plus tard, maintient avec son frère «attentionné, curieux et plein de fantaisie», un lien «très solidaire» que consolident «les moments cruciaux». A l’exemple de ce concert parisien scellant le succès d’Albin de la Simone, où le fils et le père échangent «un regard triomphal», peu de temps avant que ce dernier ne meure d’un AVC, en 2009.

Ça, plus des histoires de naissance (une Alice qui, ado, rime avec «complice»), de divorce, de nouvelle rencontre amoureuse (avec une ostéopathe, dont il admire «la qualité d’écoute et de soins»). Loin, entre autres affres, du dépit inspiré par cet hommage parisien à Aboubakar Cissé (le jeune musulman poignardé à mort dans une mosquée, le 25 avril), où, présent dans le cortège, l’électeur de gauche en quête du candidat «le plus écolo et le moins con possible», observe, effaré, que «98 % de l’assistance n’est composée que de noirs africains». Sans renoncer pour autant à l’espoir que «demain sera mieux». Au bénéfice du doute.

1970 Naissance à Amiens (Somme).

1995 Finaliste du concours national de jazz de la Défense.

2003 Premier album, Albin de la Simone

2025 Huitième album, Toi là-bas, livre Mes battements (Actes Sud), tournée (à Paris, le 19 mai Théâtre de l’Atelier, en novembre au CentQuatre), exposition en juin au Frac Picardie.