Elle dit. Qu’au lendemain du décès de ses parents, en 2002, dans un accident d’hélicoptère au large de Cancale (Ille-et-Vilaine), elle décide de prendre la tête de l’entreprise – elle a 18 ans et 110 personnes sous ses ordres. Elle dit. Qu’elle a toujours été une jeune fille raisonnable. Elle dit. Que la question du deuil reste difficile à aborder, mais qu’on y reviendra. Elle dit. Que le levain utilisé dans les pains Poilâne, qui leur donne ce goût suret si particulier, vient de la même souche, vieille de 92 ans ; un levain «chef», déjà utilisé par son grand-père Pierre, qui avait ouvert sa boutique en 1932 au 8 rue du Cherche-Midi, à Paris (VIe), là où nous nous rencontrons. Elle dit tout cela, donc, mais d’une voix fluette, tremblante, quasi brisée. On tend l’oreille, le micro ; on voudrait amplifier tous les sons sur ces bribes de vie mais c’est d’autant plus difficile que dehors, un déluge s’abat. Alors, en fonction des ondées, un théâtre d’intimité s’ouvre et se ferme sur notre conversation ; on avance, à tâtons. La timidité d’Apollonia Poilâne est indomptable.
Trois «punitions» plus tard, du nom du sablé au beurre de la maison, on sait que sa naissance, déjà, a quelque chose de romanesque. La mère d’Apollonia, Irena Bozena Ustjanowski, galeriste et créatrice de bijoux née en Pologne, vivait, au début des années 80, entre la France et les Etats-Unis. Elle accouche à New York un peu en avance ; le père est alors aux fourneaux rue du Cherche-Midi. C’est lui qui dir