Elle balaye son portable, montre des photos. «Elle, c’est Anastasia. On n’a jamais retrouvé son corps. Et là, Rose… Elle avait huit enfants. Il ne reste plus personne. Et lui, c’est mon cousin Raphaël, il était si beau…» soupire Dafroza Gauthier. Sur son téléphone s’affiche un jeune homme élégant, au visage d’ange. «C’était un footballeur, il a été tué par les gendarmes. On raconte qu’ils ont ensuite coupé sa tête et joué au foot avec…» Soudain elle se tait. Son regard s’évade. Ce n’est jamais anodin d’évoquer cette période-là. Depuis près de trente ans, elle vit avec ses fantômes. Ceux des victimes du génocide des Tutsis du Rwanda, exterminés en 1994. Elle était en France quand la tragédie a eu lieu. Mais ce sont ses proches, ses amis, les siens qui ont été tués.
Sur cette terrasse de café, qui jouxte le Panthéon, ils sont deux en réalité. Assis à côté de Dafroza, il y a Alain, son mari. Il est né en Ardèche, mais lui aussi est hanté par ces morts. Il a fait le choix d’accompagner sa femme dans ce deuil impossible. Et surtout de le transformer en combat : traquer les responsables des massacres, réfugiés en France.
Je les ai rencontrés à Bruxelles en 2001, lors du premier procès organisé en Europe. Quatre Rwandais se trouvaient dans le box des accusés, dont deux religieuses. Je couvrais le procès pour Libération. Lor