Quand il rit, le trou noir de sa dent manquante vous aspire comme un mauvais charme. Et Dirrma rit beaucoup. Est-ce à force d’avoir trop côtoyé les morts ? Le fossoyeur le plus célèbre du Soudan est pourtant tout sauf sinistre. Ce colosse débonnaire à la force prodigieuse, infatigable, qu’on dit doté d’une mémoire fabuleuse, règne sur le plus grand cimetière d’Omdourman, la ville jumelle de Khartoum, séparée de la capitale par le Nil. Depuis son magistère funéraire, il a observé l’agglomération s’enfoncer dans une guerre sanglante, qui dure depuis vingt mois.
«Quand on prononce le nom de “Dirrma”, on pense à la mort, réalise un jeune habitant, c’est une sorte de Titan.» Cela fait quarante ans que Dirrma creuse des tombes. Il a certainement déplacé assez de terre dans sa vie pour détourner le cours du Nil. Toute la ville le connaît. Comme un personnage de conte, on ne le désigne que par son prénom, et même son surnom : «Dirrma». De son vrai nom, Abbedine Khidir Mahmoud Abderahmane al-Mahdi. Il dit descendre d’une famille de disciples du Mahdi, les Ansars, compagnons du chef politico-religieux qui traumatisa les Anglais en décapitant le major Gordon à l’issue du siège de Khartoum, en 1885.
Dirrma porte, en l’honneur des Ansars, une djellaba de couleur verte toute rapi