Deux alpinistes escaladent une montagne. L’un perd l’équilibre et tombe dans le vide. L’autre l’interpelle : «Eh, oh ! ça va ? - Oui, ça va ! - Les bras, ça va ? - Oui ! - Les jambes ? - Oui ! - Alors, pourquoi tu remontes pas ? - Je suis encore en train de tomber.»
Filipp Dzyadko tente de décrire l’état dans lequel il se trouve depuis le 24 février 2022. Depuis que la Russie, son pays, a envahi l’Ukraine. Depuis que les bombes tombent sur les villes ukrainiennes et tuent des civils par centaines. Depuis que lui, comme tant de ses concitoyens qui s’opposent à la guerre «insensée et criminelle» de Vladimir Poutine, a dû s’exiler à la hâte. Pour l’écrivain, journaliste, docteur ès lettres, actif dans l’opposition anti-Kremlin, les trois dernières années ont été pénibles et mouvantes. «C’est très compliqué de commencer une nouvelle vie. Pour les uns, c’est une chance, pour d’autres, ce sont des souffrances infinies», dit-il, en triturant un carré de sucre de ses doigts effilés. «Moi, je suis encore en train de tomber», écartelé entre «le désir d’écouter ma peine et l’interdiction d’y penser». Silhouette élancée d’ado dégingandé, barbe de trois jours, regard perçant, il a la même allure à presque 43 ans, qu’il y a quinze ans, quand on le croisait dans les manifs anti-Poutine et les bars branchés de Moscou.
En ce mois de février, Dzyadko est venu à Paris, depuis Berlin où il a posé ses valises, pour présenter Radio Vladimir, une «nouvell