Il ne se souvient plus très bien ce qui lui a pris. Un soir de décembre, lisant Libé sur sa tablette, comme il a l’habitude de le faire après une journée de travail, Olivier Lestang découvre notre jeu-concours lancé à l’occasion des trente ans de la Der. Une dizaine de questions portant sur l’un des quelque 8 000 portraits publiés dans nos pages depuis 1994 avec, à la clé, la possibilité d’être tiré au sort et de remporter son propre portrait en dernière page à condition d’avoir les bonnes réponses. «Je me suis dit que ça serait super marrant, sans trop y croire, mais en n’excluant pas que ça arrive», rembobine-t-il, attablé dans son appartement de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), ville qu’il adore, où il nous reçoit un matin de janvier. Sur la table basse en acajou gît le dernier exemplaire de Libé déposé dans sa boîte aux lettres. «Je vous jure que ce n’est pas une mise en scène !» plaisante-t-il, en nous proposant un café… servi dans un mug floqué du logo du journal.
Mais promis, c’est bien le hasard qui nous a conduit jusqu’à Olivier Lestang, conseiller principal d’éducation depuis trente ans, tiré au sort parmi plus de 7 600 participants. Et on peut dire que le sort a bien fait les choses : un brin incrédule, il nous glisse qu’il vient de sortir un album quelques jours plus tôt. Se modérant aussitôt : «Enfin, je sais que vous n’êtes pas là pour faire du placement de produit…» Certes, mais en temps normal, c’est typiquement ce genre d’actualités qui nous conduisent jusqu’à nos interlocuteurs. A la différence, notable, qu’on arrive d’ordinaire équipés d’un petit dossier de documentation garni d’interviews passées et de savoirs en tous genres sur nos portraiturés. De notre homme du jour, on ignorait presque tout, sauf les quelques indices semés çà et là sur ses réseaux sociaux. A commencer par une intrigante affaire de patronyme : pour la scène, Olivier Lestang s’est choisi un nom d’artiste, Olivier Cosmann, hérité de sa grand-mère maternelle.
Silhouette imposante toute de noir vêtue, Dr. Martens aux pieds et bagues argentées aux doigts, cet auteur-compositeur, guitariste et chanteur officie en solo et dans deux groupes de reprises de David Bowie, chanteur qu’il adule. Le Britannique est omniprésent sur les murs de son deux-pièces, jusque sur un petit carré de faïence andalouse au-dessus de l’évier de la cuisine. «Il est partout, même là», appuie Olivier Lestang, relevant sa manche pour dévoiler un visage tatoué sur son bras gauche. Il lui faut marquer un temps pour essayer de retracer l’irruption dans sa vie de «Ziggy Stardust», découvert via un disque rapporté par son frère aîné, Scary Monsters (and Super Creeps) sorti en 1980 quand il avait «12 ou 13 ans». Bien sûr, il a bien eu d’autres «amours de jeunesse», comme Jimi Hendrix ou Pink Floyd, mais «ça n’a pas duré» : «Pas le même frisson, pas le même génie» que Bowie. Gamin «bon élève et rêveur», Olivier Lestang, féru de science-fiction, s’est un temps rêvé cosmonaute. Pas étonnant que sa planète se soit alignée avec celle de l’interprète de Space Oddity.
La musique, elle, a toujours été présente dans sa vie. En témoignent ses trois guitares – deux électriques et une acoustique – installées en majesté dans la pièce à vivre. Ce «virus», il le doit à ses parents. Né dans l’Essonne, d’un père cadre à l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), pratiquant la flûte traversière, et d’une mère psychologue et pianiste, Olivier Lestang, cadet d’une fratrie de trois, s’essaie d’abord au piano, «comme maman», avant d’apprendre la gratte en autodidacte, à force de visionnages de clips et de cassettes vidéo. «Avec la guitare, on peut comme tordre les notes, il y a une électricité, une torsion», argue-t-il avec ferveur, saisissant l’un de ses instruments pour nous en faire la démonstration. «Déjà gamin, il était toujours dans sa chambre, à jouer ou à chanter», dépeint son cousin Aymeric Létoquart, ingénieur du son ayant notamment travaillé avec Jean-Louis Murat, ainsi que sur l’EP du rockeur amateur audonien, dont il loue «la super voix et l’interprétation incroyable».
Faire carrière dans le rock ? Olivier Lestang, qui s’est un temps produit dans le métro parisien, n’aurait pas dit non, mais estime que ça aurait été un peu «prétentieux» de sa part. Direction la Sorbonne, où il obtient une maîtrise d’histoire, sans «vocation précise» en tête, mais parce que la matière le «passionne» : «Mon grand-père maternel est d’origine ukrainienne, et ma grand-mère, juive allemande. En 1940, ils se sont planqués à Monaco. L’histoire est un peu inscrite dans mon patrimoine culturel.» Après un premier job de conseiller technico-commercial dans la téléphonie, le quinquagénaire trouve sa voie à l’aube des années 1990 : il sera conseiller principal d’éducation, profession dont il parle avec beaucoup d’enthousiasme et qui permet à son sens d’offrir «un espace d’écoute et un cadre». Sans avoir besoin de faire montre d’autorité excessive : «Vu que je mesure 2 mètres, il suffit que j’éternue pour que certains élèves prennent peur», sourit-il. Lycées professionnels ou techniques, prépas, établissements en banlieue parisienne huppée : Olivier Lestang a navigué jusqu’à trouver, en 2021, un poste qui semblait taillé pour lui, au sein du collège Rognoni, aussi appelé «école des enfants du spectacle». Cet établissement public centenaire, situé en plein cœur de Paris, propose une scolarité à mi-temps à des élèves qui pratiquent une activité sportive ou artistique, du patinage à la danse, en passant par le cirque ou la musique. «J’ai postulé tout de suite : c’est un bon moyen d’utiliser toutes mes compétences. Les enfants musiciens, le trac, la pression : je comprends. Je suis à la bonne place.»
Sa place, justement, le conduit à nous indiquer qu’il préfère «rester mezzo voce» sur ses opinions politiques et religieuses : on se contentera donc d’indiquer qu’il est de confession juive et «nettement de gauche». Qu’il a confié son tout premier vote à Mitterrand en 1988. Père d’une fille de 26 ans, séparé tôt de la mère de celle-ci, et de nouveau en couple depuis peu, il se souvient avoir voulu «changer le monde» quand il était étudiant et s’inscrit dans une «génération de militants impliqués dans les grandes grèves générales de 1986». Marquant une pause, il ajoute : «Vous savez, c’est comme dans la chanson de Miossec.» Cherchant les paroles sur son smartphone, il lit : «C’est drôle de voir ce que nos pensées sont devenues / On était tellement de gauche / Aujourd’hui on ne sait plus.» Lecteur occasionnel de Libé depuis ses 17 ans, il s’est abonné il y a quatre ans pour «lutter contre l’isolement», quand un pépin de santé l’a conduit à être longuement hospitalisé. Pour égayer la prise de vue, notre photographe a suggéré qu’on écoute son E.P., enceintes à fond dans le salon. A cet instant, c’est comme si Olivier Lestang avait été transpercé d’un nouveau souffle. Enthousiaste : «T’entends la basse, là ?» L’album, pensé pour célébrer «le retour à la vie, le triomphe de la lumière», s’appelle Réanimation.
3 janvier 1968 Naissance à Savigny-sur-Orge (Essonne).
2021 Devient CPE à l’Ecole des enfants du spectacle.
Janvier 2025 Album autoproduit, Réanimation.