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«Quand on pense handicap on pense fragilité»

Rebondirdossier
Dans le Morbihan, le centre de rééducation Kerpape accueille les grands accidentés de la vie. Son président Olivier Bonaventur raconte la force sans commune mesure de ceux qui doivent se reconstruire.
(Rhett Maxwell/Flickr)
par Olivier Bonaventur, directeur de Kerpape, un centre mutualiste de rééducation et de réadaptation fonctionnelles dans le Morbihan
publié le 14 mars 2019 à 14h45

Olivier Bonaventur participera jeudi 28 mars au Forum Libération «Rebondir». Inscrivez-vous ici.

«On a deux vies et la deuxième commence quand on se rend compte qu’on n’en a qu’une.» Souvent en écoutant les histoires de vie des patients de Kerpape cette citation de Confucius me revient. Des hommes et des femmes qui se sentaient intouchables, immortels, ont vu en une fraction de seconde leur existence basculer. À cause d’un inconscient au volant, à cause d’un plongeon dans une eau peu profonde, à cause de leur goût pour les sports à risque, à cause d’un djihadiste.

Souvent, on s’imagine incapable de rebondir. Je croise pourtant chaque jour dans le centre Kerpape des personnes au courage incroyable. Malgré la souffrance physique, malgré les bouleversements familiaux, ils trouvent, pour l’immense majorité, la force de se construire un nouvel avenir. Un avenir certes différent de celui qu’ils avaient prévu, mais pas moins beau.

Lorsque la colère n’occupe plus tout l’espace le rebond peut débuter. Après un accident, la colère est indispensable, elle ne doit pas être niée. Mais pour ne pas sombrer il faut la dépasser. La résilience trouve ici tout son sens. Je me souviens de cette femme d’une extraordinaire ténacité qui luttait pour ne pas rester dans la haine de celui qui avait causé son drame. Elle disait : «j’ai besoin de toute mon énergie pour avancer et je ne peux la perdre ainsi».

On envisage alors l’avenir autrement. Le projet de vie n’est plus le même. Un projet souvent éloigné des normes de la société mais source d’un épanouissement certain. Un projet qui reconstruit la notion d’utilité sociale qui peut alors emprunter d’autres chemins éloignés des stéréotypes actuels.

Il faut alors s’affranchir des normes de performance qui envahissent notre quotidien. Les normes de beauté, les normes dans le travail, les normes d’intimité et de sexualité. Oui l’intimité, la sexualité, peuvent aussi s’envisager différemment ! Pour aider au rebond, il faut aussi prendre en compte la détresse des proches, une détresse différente, qu’il serait périlleux d’ignorer.

En France, le travail reste un espace essentiel à la reconnaissance sociale. Mais trouver sa place peut passer par d’autres voies d’expression. La pratique d’activités sportives, culturelles, sont des leviers réels d’épanouissement et les moyens d’y accéder doivent être facilités.

Une vie qui bascule ouvre aussi sur une autre forme d’utilité sociale : l’engagement. Quand certains voient le handicap comme une charge pour la société, il serait bon de recenser le temps bénévole offert par ces personnes. Cette rencontre avec la différence est au contraire une chance. C’est aussi un élément de présence au monde extrêmement fort. Quand on pense handicap on pense fragilité. Pour ma part depuis toutes ces années passées dans le centre Kerpape, j’ai acquis la certitude inverse. Les gens qui ont su faire ce rebond disposent d’une force sans commune mesure. Mais il faut souvent passer par une cassure violente pour la découvrir. Ils ont surtout une conscience au monde et à l’existence qui mériterait d’être bien plus entendue. Ils ne se contentent pas de traverser l’existence ils la vivent pleinement.

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