Pour découvrir Athènes, on pourra toujours compter sur le commissaire Kostas Charitos. Ce flic débonnaire, sorte d'inspecteur Derrick à la sauce grecque, est le héros de tous les romans policiers de Pétros Márkaris. Au fil des intrigues, et plus particulièrement dans la trilogie qui a pour cadre la crise en Grèce, on le suit dans les rues d'Athènes au volant de sa Seat Ibiza, pestant fréquemment contre les embouteillages, «cette pagaille totale avec tout ce que cela comporte : cris, jurons, gestes, klaxons», grince-t-il dans Liquidations à la grecque (Points), décrivant également les quartiers qu'il sillonne, leur métamorphose ou leur effondrement.
Identité. On sait moins en France que Márkaris, 80 ans, a aussi publié un charmant petit guide de traversée d'Athènes, le long de la première ligne de métro, amorcée en 1869 et largement prolongée depuis, qui relie toujours Kifissia, banlieue huppée du nord d'Athènes, au port du Pirée. Au gré des stations, on y découvre une ville méconnue, décrite avec une affection souvent nostalgique par l'écrivain. Ce petit livre était à l'origine une commande de son éditeur allemand. Il fut ensuite publié en grec en 2013, et le sera bientôt en italien, en attendant une traduction en français, en projet.
«Au départ, j'étais assez réticent à l'idée de traduire le livre en grec. Je pensais que je n'avais rien à apporter à mes compatriotes sur la description de leur capitale. Mais je me suis trompé. Les grandes villes souffrent de multiples maladies. Certaines sont au bord de la crise cardiaque. Athènes, elle, souffre d'Alzheimer. Ses habitants n'ont aucune mémoire, ils ne connaissent pas leur ville»,affirme Márkaris lorsqu'on le retrouve chez lui, à Kypséli.
Voilà bien un quartier qui a changé ces dernières années ! Longtemps investi par la classe moyenne, il abrite désormais également une importante population immigrée, venue essentiellement d'Afrique francophone. «C'est un quartier où les gens se connaissent encore, se saluent», note l'écrivain. «Les Africains se sont très bien intégrés. Ils parlent grec, leurs enfants vont dans des écoles où ils excellent parfois mieux que les locaux en grec ancien», se réjouit Márkaris, avant de s'emporter : «Bien sûr, il y aura toujours des gens qui grognent en accusant les immigrés d'avoir dénaturé leurs quartiers, de les avoir dépréciés. Mais en réalité, les immigrés se sont installés dans des lieux déjà désertés. A cause de ce rêve absurde de la classe moyenne grecque : partir dans les banlieues, en copiant la mode anglo-saxonne.» Si Athènes conserve en apparence une forte identité grecque, les immigrés récents sont présents partout, même s'ils se fondent dans le paysage, plus qu'ailleurs en Europe. Il y a d'ailleurs de grandes chances que votre chauffeur de taxi soit albanais ou égyptien (même s'il parle grec sans effort). Les concierges viennent souvent des Philippines, les femmes de ménage de Pologne. Sans oublier l'immense diaspora revenue au pays au gré des changements dans leur terre d'adoption : Grecs venus des rives de la mer Noire après l'effondrement de l'URSS ou encore d'Istanbul (que les Grecs appellent Constantinople).
Ce fut le destin de Márkaris, qui découvrit Athènes en 1960, à 23 ans. «Les Athéniens sont en réalité tous des immigrés», rappelle-t-il. «Beaucoup sont venus de la province après la guerre civile qui s'achève en 1949. Et pourtant, aujourd'hui encore, ils te disent : "Je retourne dans mon village pour Pâques". Mais quel village ? Ils sont nés ici depuis deux générations ! Cette nostalgie de la province…» soupire l'écrivain, qui se définit comme «un homme des centres-villes par idéologie». «J'adore marcher dans les villes. A Athènes, ce qui me fascine, ce sont les contrastes.»
«Casbah». Il a vu la ville dépérir, mais aussi s'embellir. «Quand je suis arrivé à Athènes, le quartier de Pláka ressemblait à une casbah insalubre et aujourd'hui, c'est si joli. Grâce à l'architecte Antonis Tritsis [un temps ministre des Travaux publics qui a incité les habitants de Pláka à contracter des prêts avantageux pour rénover leurs maisons, ndlr] et à Melina Mercouri[célèbre actrice devenue ministre de la Culture en 1981] que le centre d'Athènes a été en partie sauvé.»
Chaque jour, Pétros Márkaris se rend dans le petit café-librairie de la rue Sainte-Irène géré par son éditeur grec, et quand il a le temps, il longe la rue Apostolou Pavlou, qui part du métro Thissío, pour le conduire jusqu'à l'Acropole : sa promenade favorite. Mais où habite son héros, le commissaire Charitos ? «Entre Pangráti et Výronas, deux quartiers de la classe moyenne. J'y ai découvert une jolie petite rue, c'était parfait pour lui.» Athènes ouvre les portes de l'imaginaire. Une ville peuplée de fantômes, où «l'on a toujours construit le neuf en éradiquant le passé», note dans son petit guide l'écrivain qui continuera longtemps à promener son héros dans le dédale de cette capitale qui se réinvente sans cesse.
Prochain ouvrage à paraître en français : Offshore, éd. le Seuil, le 28 février 2018.