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Qu'ignore-je? Que sais-je? Dans quelle montagne erre-je?

Une saison en hiverdossier
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Cédric Sapin-Defour aime l’alpinisme. Il pourrait garder ce bonheur pour lui mais il est habité par une autre ambition: faire partager sa passion de la montagne. C’est un désir touchant, quoiqu’un peu désespéré...
(Nicolas Vigier / Flickr)
publié le 7 décembre 2015 à 9h31
(mis à jour le 11 décembre 2015 à 17h26)

Qu’est ce que l’alpinisme?

Etymologiquement, alpinisme provient de alpin qui lui vient du latin alpinus, les Alpes (1), le choronyme (2) Alpes venant lui de albos, le monde lumineux. Bizarre qu'un marchand de frontales n'ait pas songé à appeler un de ses modèles albos, ça ferait chic et instruit. Ça ressemble peut-être trop à Lesbos.

Le terme alpinisme a été formulé la première fois dans l’annuaire du Club Alpin en 1877. On n’est jamais aussi bien servi que par son nom. Comme l’alpin est sujet à une discrète dérive hégémonique, il a voulu qu’alpinisme s’emploie partout, Alpes et larges, très larges environs.

Sauf que les gars à grosse montagne (andisme, himalayisme) n’ont pas trop goûté l’ingérence et l’ont renvoyé à ses collines. La résistance du pyrénéisme par contre, on est plus perplexe. Pourquoi l’alpin n’a pas plus insisté vu leurs toutes petites montagnes et leurs glaciers en phase terminale? Sans doute l’ETA. No pasáran.

Il est facile de moquer le chauvinisme alpin mais heureusement qu’ils ont trouvé un terme générique, quoiqu’un peu cocardier, à notre pratique verticale car si toutes les chaines montagneuses y étaient allées de leur petit nom pour la même activité, ça sentait le foutoir à plein nez. Juraïsme (France) ça imposait le tréma en plus d’être explosif, quant au Sierra de los Cuchumatanesisme (Guatemala) ou le Ngorongoroïsme (Tanzanie), ils auraient bigrement peiné pour créer une fédération.

L’ennui avec ces querelles de suffixe, c’est qu’à tout isme, on pense qu’il s’agit du fait de grimper le préfixe. Pour carriérisme passe encore, c’est minéral. Saturnisme à la limite maintenant qu’on va sur Mars. Mais le sarkozisme alors, c’est quoi? Du bloc?

Critique similaire pour le préfixe alp dont certains pensent qu’il nous renvoie invariablement à la chaine alpine. Des touristes bretons l’été dernier voulaient louer un kayak au lac de Roselend pour alpaguer tranquilles. Non mais n’importe quoi. Heureusement enfin qu’on s’est arrêté à la chaine montagneuse et qu’on n’a pas décliné plus finement pour chaque massif (vercorisme, tailleferisme…) voire chaque sommet (aiguille du Tourisme) sinon on y serait encore. L’étymologie c’est vachement pointu.

Chez les Anglais, c'est plus simple. Ils ne se sont pas cassés leur tête toute rousse. Ils disent mountaineering pour désigner l'ascension de n'importe quelle montagne, sans fanatisme aucun. Fastoche de passer pour un peuple égalitaire, éclairé et ouvert quand chez toi, y'a rien.

(1) Entendu aussi les Préalpes. Les Préalpes forment un ensemble de massifs montagneux de moindre ampleur qui débutent selon les Chamoniards approximativement au niveau du panneau sortie d'agglomération Chamonix.

(2) Ne perdez pas de temps à chercher dans le dictionnaire. Choronyme, en gros ça veut dire lieu, région. Vous le replacerez, y 'a bien des fois où vous allez dîner en ville non ?

Qu'ignore-je, de Cédric Sapin-Defour. Préface de Jean-Christophe Rufin. JMEditions. 11,90 euros.

A découvrir aussi le Dico impertinent de la montagne (lire la critique).