«C’est que les lois du marché n’aiment pas trop le "e". Ça fait bouseux, ça sent le pauvre.
«Si vous ne voulez pas que votre rassemblement de montagneux ressemble à la fête de l’Huma sauce polenta, baptisez-le − même au fin fond de la vallée de la Clarée – Mountain Adventure Alpinism Outdoor Base Camp, ou un truc dans le genre. Mots courts, claquants, surtout pas d’article, quelques "e" certes, mais pas gênants.
«Perte de l’identité linguistique, trahison des anciens, soumission aux codes du marché… Voilà que nous allons encore passer pour des réacs. On nous répond qu’il faudrait que l’on regarde un peu plus loin que le bout de notre blair franchouillard et poussiéreux. Que le monde est un village, les montagnards tous des brothers et qu’il est généreux de s’adresser au plus grand nombre contrairement à notre repli sectaire et périmé.
«Nous adaptons notre argumentaire et objectons aux climbers que si on suit leur logique, il serait bien vu de communiquer en mandarin – 高山探基地 – ou en espagnol – Campo base de la montaña y de la aventura ! – dans la mesure où ce sont les langues les plus parlées sur notre belle planète.
«Alors là, on nous chuchote que les Chintoks grimpent moins qu’ils ne mangent et qu’on a préféré leur traduire tartiflette et crozets sur les menus plutôt que ce qui touche aux pratiques de la montagne. Pourtant, quand on y regarde de plus près, l’idéogramme "montagne" est nettement plus facile que celui de la fondue aux cèpes. Et plus joli. On nous rajoute que les Espingouins, ils ont des montagnes chez eux et en Amérique du Sud, qu’en plus ils n’ont plus une peseta depuis que leur bulle immobilière a éclaté et que donc, ça ne sert pas à grand chose de leur faire la publicité pour un festival dont ils ne pourront pas payer l’entrée. Ce serait même cynique. Et on s’y connaît.
«Alors que les rosbifs qui n’ont pas de montagne chez eux, c’est quand même sympa de leur faire découvrir cet univers et de rendre hommage à Whymper. Surtout qu’ils ne sont pas dans la zone euro, qu’ils ont des ronds et qu’ils comptent beaucoup à nos yeux.
«D’accord, très bien.
«Nous suivons encore leur raisonnement à deux pounds et nous leur soufflons qu’une récente étude de la banque Natixis – à qui on peut faire confiance – place la langue française comme celle qui sera la plus parlée dans le monde en 2050, en partie via l’émergence de la jeune Afrique francophone. Nous tenons là une opportunité formidable de faire venir les Africains à la montagne et de restaurer la place du français dans le vocabulaire, même marchand, de l’alpinisme. L’hégémonie de la langue anglaise n’a plus de raison d’être. Tout a une fin, comme disent les Africains. Sauf la banane, qu’en a deux.
«Alors là, on nous dit que oui d'accord, mais que de toute façon, dans les faits et à l'oreille, communiquer en anglais ou en français est tout à fait proche − adventure pour aventure, mountain pour montagne −, et pour ainsi dire pareil, à part une ou deux inversions de-là de-ci.
«Bon ben alors, si c’est exactement la même chose, on peut donc communiquer en français ? C’est bien ce qu’on dit.
«That’s all folks !»
L'Alpinisme, «Qu'ignore-je ?» de Cédric Sapin-Defour. Préface de Jean-Christophe Rufin. JMEditions. 11,90 euros.
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