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Libération
Portrait

Dans l’arène des neiges

Cet hiver encore, le Britannique Simon Beck dessine d'étranges arabesques dans la neige fraîche des Arcs. Nous avions rencontré ce «snow artist» il y a trois ans. Il nous avait parlé d'une passion découverte presque par hasard.

Il y a une semaine, le 9 mars 2018, après de nouvelles chutes de neige. (Les Arcs)
Publié le 28/01/2016 à 9h54, mis à jour le 28/01/2016 à 9h54

Il pourrait trouver des explications élaborées, s'inventer un passé compliqué, des fulgurances inspirantes… Mais non, il aime juste la neige. Et les mathématiques, la géométrie plus précisément. Simon Beck, 57 ans, est un «snow artist», il dessine dans la neige. Ce jour-là, à la gare de Waterloo à Londres, on en doute un instant. Il arrive en tee-shirt et maillot de bain, son sac à dos accroché aux épaules. On est mi-octobre. La neige lui est tombée dessus, littéralement et dans l'âme, lorsqu'il avait 9 ans. Sa mère l'avait emmené «la voir» en Ecosse. Il est tombé en amour. «J'adore sa texture, le bruit qu'elle fait lorsqu'on marche dessus, les reflets du soleil sur sa surface.»

Ce Britannique aime aussi passionnément la géométrie, elle l’a mené jusqu’à l’université d’Oxford, d’où il est sorti cartographe diplômé. Parallèlement, il devient un fou furieux des courses d’orientation, participe à des championnats du monde. Mais la neige le chatouille toujours et, en 2004, il se lance. Il vend sa maison en Angleterre, s’achète un petit appartement à la station des Arcs, avec vue sur un lac gelé. L’idée était de passer l’hiver à skier....

Sauf qu'un jour, après le ski, il s'ennuie et fixe le fameux lac. «C'est sa surface qui m'a attiré, totalement immaculée.» Il se rend au milieu du plan d'eau gelé, y trace quatre repères avec sa boussole d'orientation qui ne le quitte jamais. Il marque ainsi cinq points équidistants qu'il relie pour former une étoile. «Puis j'ai rempli les espaces avec des figures circulaires.» «C'est un truc courant pour les enfants que de dessiner dans la neige», explique-t-il simplement. A cet instant de l'interview, il s'empare de notre stylo pour retracer son étoile sur notre carnet de notes. «J'ai trouvé ça joli.»

«Soleil»

Le lendemain, du haut de son télésiège qui glisse au-dessus du lac, il est «impressionné». Alors il se lance dans des dessins toujours plus élaborés. Il commence par marquer des repères, puis trace des lignes en marchant et en revenant toujours sur ses pas pour éviter de souiller la neige. «Il faut réunir cinq éléments, sur trois jours en général. Une grande surface plane. Qu'il neige. Puis, le lendemain, qu'il ne neige plus et qu'il n'y ait pas de vent, afin de pouvoir tracer le dessin. Le lendemain toujours, il faut du soleil pour prendre la photo (sans soleil, les reliefs se voient mal). Enfin, il faut un endroit surélevé d'où on puisse photographier le dessin.»

Il cite les endroits où il dessine le plus souvent : le lac des Combes, la moitié d'un hectare, «trois heures de dessin» ; le lac Marlou, 1,5 hectare, «neuf heures de travail», là où il a tracé la majorité de ses œuvres. Quant au réservoir, situé en face de son appartement, ses trois hectares nécessitent deux à trois jours de travail.

Parfois, il n'a pas fini son dessin avant la tombée de la nuit. «Mais ce n'est pas grave, si j'ai marqué les repères, je peux facilement continuer le dessin dans le noir, avec une lampe frontale.» Entre novembre et mars, il trace en général trente à quarante compositions.

En mars 2014, il est contacté depuis l'Utah, aux Etats-Unis, pour faire un dessin sur le sable, lors d'un spectacle live. «Au début, j'ai dit non, je n'en avais jamais fait.» Et puis il décide de s'entraîner.

Près de Bristol, dans le sud-ouest de l'Angleterre, il y a un endroit idéal. «Une immense surface de sable découverte à marée basse. Et une colline en surplomb.» Cette fois-ci, il lutte avec les marées. «On peut commencer à dessiner environ une demi-heure après marée haute, le sable est encore humide mais pas trop, ensuite il faut être assez rapide, avant que la marée revienne.» Il trouve le sable plus facile que la neige, il y trace ses lignes avec un râteau. «On peut marcher dessus pieds nus, pratiquement sans laisser de traces, alors que pour la neige, il faut réussir son coup la première fois.»

«Infini»

Mais la neige reste sa passion. Comme un surfeur qui attend sa vague, il attend sa neige parfaite. «En général, je termine un dessin parce que je suis épuisé, mais en principe, je pourrais continuer à tracer les figures géométriques à l'infini». Il lui a fallu du temps pour accepter l'idée qu'il était un artiste. «Au début, c'était pour m'amuser. Je ne suis pas un très bon skieur, pas un très bon montagnard, pas un très bon grimpeur, mais je suis très bon en snow art». Il s'apprête à partir en Russie, pour un projet de film, «dessiner huit dragons, dans huit villes, sur huit lacs gelés». Au moment de partir, il dédicace son livre Snow Art (on peut le commander sur le site snowart.gallery). Et rajoute un «H» entre son prénom et son nom. «C'est pour Hillary», explique-t-il. Sir Edmund Hillary, le premier conquérant de l'Everest. Il a le regard d'un enfant émerveillé. «Quand j'étais petit, il était mon héros.»