Le «half-pipe» (prononcer païpe!) est un demi-tube de neige dont les murs mesurent sept mètres (pour 180 mètres de longueur) dans lequel les «riders» (skieurs) enchaînent des figures acrobatiques. Ils prennent leur élan et se servent des «copings» -les rebords du pipe- pour effectuer leurs impulsions. Puis ils retombent dans le «pipe» en continuant a enchaîner les sauts jusqu’en bas. Les critères de notation prennent en compte la hauteur des sauts, l’esthétique et la complexité des figures ainsi que l’enchaînement général du «run» -un parcours du pipe effectué par un skieur. Décryptage, avec des free-riders rencontrés à Tignes, d’un sport spectaculaire.
Marie Martinod, troisième de la free ride cup à Tignes à Tignes
«J’ai commencé par le ski de bosses. Je fais un sport outdoor, c’est un plaisir d’être en communion avec la nature. J’ai la liberté d’aller skier, on est super privilégiés. L’entraînement, c’est de monter des cols en vélo, faire de la cardio, tout ce que je réalise avec plaisir car je connais la finalité. J’irai aux Jeux de Pyeongchang et après je tirerai ma révérence. Je suis une compétitrice, quand je vais commencer à décliner, je vais trop mal le vivre.
L’ambiance chez les filles, c’est un plaisir, de la super copinerie. C’est un sport dangereux, une de nos athlètes s’est tuée dans le pipe en 2012, c’était une Canadienne, (Sarah Burke, ndlr) une banale chute à l’entraînement. Cela lui a sectionné une artère qui irrigue le cerveau. Elle a fait une grosse hémorragie cérébrale. Il arrive d’avoir peur, j’essaie de le prendre comme un moteur. Plus tu la refais vite, mieux c’est, l’idée c’est de s’ôter le doute. Je fais un passage avec des sauts droits et dès le second passage, je fais mes figures. C’est un combat permanent. J’affiche la couleur, mon objectif c’est de gagner à la maison. Les six concurrentes sont potentiellement médaillables.
Le facteur forme du moment est toujours là. Notre sport n’est pas assez médiatisé, il n’y a pas de diffusion sur une chaîne à grosse audience (l’événement de Tignes était retransmis sur l’Equipe 21). Pour réussir, il faut de lé générosité, créer un clan autour de soi, sentir les autres, y croire. Personnellement j’ai mis ma carrière entre parenthèses pendant six ans, puis je suis revenue, me suis préparée pour les Jeux (Sotchi, 2014 en Russie ndlr) et j’ai fini avec une médaille d’argent. Techniquement, on a toutes travaillé les mêmes choses, on est toutes capables. Les Jeux sont un super moteur, une belle finalité. Je ne me projette pas trop, chaque jour suit l’autre, c’est un plaisir de ne pas regarder devant, j’aime le chemin, C’est un principe de vie».
Olivier Cotte, Organisateur de l’épreuve
«Soixante personnes travaillent sur un tel événement. L’équipe de "shape", ceux qui travaillent sur la forme du pipe, les six juges, les techniciens son et lumière, l’équipe de production TV. Il y a 45 000 dollars de «prize-money» (les récompenses pour les skieurs). Le coût d’un tel événement est compris dans une fourchette de 250000 à 400000 euros. Depuis que c’est une discipline olympique, c’est plus relayé qu’avant. Il y a seize ans, lors des premiers événements organisés, les skieurs ne voulaient pas mettre de dossards, il n’y avait pas de casques. Désormais, cela s’est professionnalisé. Les nations s’entraînent dans des fosses dans l’eau, avec des airbags. Aux jeux de Sotchi, ces disciplines ont battu des records d’audience. Il n’y a que deux half-pipe en France (Méribel et Tignes). C’est très coûteux en volume de neige à produire. On tronçonne la neige, le pipe est mis en forme...Le gros stress, c’est la météo. On est en extérieur, on peut avoir une tempête de neige avec soixante kilomètres heures de vent -qui empêche de sauter. Le second stress, c’est la préparation. Il faut qu’il n’y ait pas d’accidents, faire le maximum pour que la piste soit bien préparée».
Gregory Guenet, entraîneur de Kevin Rolland, Ben Valentin, Marie Martinod...
«On sent les prédispositions chez les enfants qui ont souvent une large idée de ce qu’ils savent vraiment faire. Ce sont les plus laborieux qui finissent par y arriver. Quand je demandais à Kevin (Rolland ndlr) de faire 25 sauts, il en faisait 70. C’est une forme d’intelligence de savoir ce qu’il faut faire avant les autres. Le petit truc triste chez nous en France, c’est qu’on propose très peu le free style aux enfants. Pas mal de petits skieurs aimeraient en faire plutôt que de tourner autour de piquets ou de faire de la vitesse. Dans les clubs, on fait du freestyle après avoir essayé l’alpin. Mes petits skieurs aimaient la poudreuse et faire des sauts depuis tout petits. Il faut que ce soit une passion: pour subir les charges d’entraînement, il faut qu’on ait du plaisir dans ce que l’on fait.
Mon rôle de coach, c’est de les conseiller dans la technique, leur donner un oeil extérieur. C’est un sport à grand risque, il y a un côté préparation mentale : on part au combat. Les meilleurs du monde ont peur au départ. Il faut les préparer au mieux physiquement, pour éliminer le fait qu’ils peuvent se mettre en danger. C’est un sport extrême. Les skieurs de pipe sont des guerriers, des gens fins, très vifs et très musclés. Ils sont agiles, ont un physique travaillé de vitesse, de légereté, d’endurance et d’explosivité. Ils ont une tête solide. C’est un sport où ils se mettent en danger tout le temps. Je ne peux pas leur mentir sur leur état de forme, si je leur mens, je les mets en danger. J’insiste sur le fait qu’ils soient forts en technique pour éliminer une partie de la peur, je les rassure, les réconforte, les bichonne, je les engueule. Souvent, je leur rappelle qu’il faut juste qu’ils s’appliquent à faire ce qu’ils savent faire. Ces skieurs voyagent, sont loin de leur parents, gèrent leur petite entreprise, même si on a des aides de la fédé. On est obligés de faire des résultats sinon on est cuits. C’est une sacrée pression. Si on ne gagne plus, on a moins de moyens, moins de moyens cela veut dire qu’on réussit moins: on ne peut pas se relâcher».
Fabien Bertrand, responsable de la cellule free-style à la Fédération française de ski
«Nous disposons d’un budget d’un million d’euros -contre quatre au ski alpin. Le ski free-style a toujours une belle place. Nous avons 140000 licenciés, 50000 compétiteurs et 90000 pratiquants loisirs. Chaque année, on a trois ou quatre clubs en plus, les stations jouent le jeu. C’est un sport jeune, qui évolue assez rapidement. Les riders créent un nouveau style. Beaucoup sont livrés à eux-mêmes, ne sont pas assistés forcément il faut qu’ils réfléchissent».
Antoine Maistre de Vallon, agent de Kevin Rolland, Thomas Krief et Antoine Adelis
«Le pipe, c’est la discipline en free-ski la plus engageante. Une des réalités, c’est qu’aujourd’hui, parler de la chute, c’est difficile. La difficulté qui est la leur, aux skieurs, c’est de dire «j’ai peur» non pas de ne pas réussir ma figure, mais de me faire mal -un trauma crânien, par exemple- Il y a des choses dont on ne parle pas. Ces garçons méritent un respect incroyable, c’est un sport graphique, mais il y aussi le danger. Ils se sont tous «faits» une épaule, les deux genoux, des traumas crâniens tout le temps. Ils arrivent à rire de leurs blessures. Ils ont besoin d’avoir une préparation de très haut niveau.
Ils sont aussi des créateurs, le sport est graphique, il leur faut lancer des nouveaux «tricks» en permanence. Ils sont «inspirants», ils se mettent en scène à travers leur créativité. Kevin Rolland sort sa vidéo, il réalise plus de cinq millions de vues en cinq jours. Dans le pipe d’Aspen (Colorado USA), ils performent devant 35000 personnes, en plus de cela ils mettent leur vie en danger, pour faire ce qu’ils font, il faut de «très grosses couilles». Le public, ils l’entendent avant de «dropper» -se lancer dans le pipe et effectuer leurs figures- l’energie les nourrit a partir du moment ou ils droppent: j’ai performé et en plus je suis vivant. Je soupire de soulagement quand je les vois arriver entiers.»