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Alpes

Vallée Blanche, ski a de plus beau

Ce hors-piste mythique, un dénivelé de 2 800 mètres entre l’aiguille du Midi et Chamonix, permet, si l’on est bien accroché, de contempler d’impressionnants panoramas.
Les séracs du Géant (2500m). (Photo Pascal Tournaire)
par François Carrel, Envoyé spécial à Chamonix
publié le 18 mars 2016 à 17h21
(mis à jour le 1er avril 2016 à 10h50)

C'est le parcours hors-piste le plus célèbre des Alpes, «le plus beau du monde», avancent certains. La vallée Blanche, dans le massif du Mont-Blanc (Haute-Savoie), est de fait un itinéraire de ski de montagne glaciaire exceptionnel par sa longueur et sa beauté, du sommet de l'aiguille du Midi, à près de 4 000 mètres d'altitude, jusqu'à Chamonix, 2 800 mètres plus bas. Nous sommes allés éprouver le mythe à la mi-février, dès les conditions optimales réunies pour la première fois de l'hiver : enneigement suffisant en altitude, sur les glaciers et jusqu'en fond de vallée, afin de réaliser la vallée Blanche «intégrale», skis aux pieds jusqu'à Chamonix, soit entre 15 et 20 kilomètres de descente.

L’aiguille du Midi, gifle glacée

Dans l’une des premières bennes du téléphérique de l’aiguille du Midi, ce matin, les touristes sont rares parmi les dizaines de skieurs impatients, tous là pour la vallée Blanche. La Compagnie du mont Blanc, exploitante de la remontée, estime à 45 000 le nombre de personnes qui viennent du monde entier s’offrir chaque hiver, entre janvier et avril, cette descente mythique. A 3 777 mètres d’altitude, la cabine déverse sa cargaison humaine dans les couloirs de roche nue du piton nord de l’aiguille. La traversée de la passerelle vers le piton central, suspendue en plein air, donne un aperçu de ce qui attend les candidats à la vallée Blanche : vent polaire, vide saisissant. Certains titubent, hébétés par la gifle glacée et le manque d’oxygène qui ralentit les idées et accélère la respiration. Cette hypoxie est impressionnante, tout autant que la vision de la file de skieurs qui descend, à quelques dizaines de mètres de là, l’arête de neige vertigineuse issue de l’aiguille, passage obligé vers la vallée Blanche.

La passerelle de l’aiguille du Midi (3800 m). Photo Pascal Tournaire

Dans les couloirs du piton central, c’est l’effervescence. Les guides équipent leurs clients - baudriers, crampons -, les encordent et les encouragent. La plupart, avant de se confronter à «l’arête», prennent le temps de visiter la plateforme sommitale de l’aiguille, sa vue du mont Blanc au Cervin, et son «Pas dans le vide», boîte de verre suspendue.

L’arête, une épreuve initiatique

Au bout d'un couloir, une galerie a été creusée à travers la glace, sur 10 mètres. Les skieurs harnachés avancent en silence, maladroits sur leurs crampons, les skis fixés sur le sac, accrochant parfois le plafond. Ils retrouvent la lumière du jour sur une petite plateforme de neige fermée par un portillon et surmontée d'un panneau explicite : «Skieurs, attention ! Itinéraire de haute montagne. Non entretenu, non sécurisé, non balisé, non surveillé.»

Un par un, ils franchissent le portillon. Les rafales de vent chargées de grésil les saisissent, gelant les visages et déstabilisant les plus fragiles. Sur quelques dizaines de mètres (les plus raides), la montagne est encore aménagée : de grosses cordes fixes de part et d'autre de l'arête permettent une descente sûre. A gauche, la pente, très raide, file directement vers Chamonix, près de 3 000 mètres plus bas… De l'autre côté, c'est moins haut mais tout aussi raide. Ça bouchonne, on piétine, congelés. Les guides donnent de la voix : «Go, go, Aldo !» hurle l'un d'eux à un client visiblement tétanisé par le vertige et le froid. Bientôt l'arête se couche, les cordes fixes s'interrompent et, sur un replat, on chausse enfin les skis. Sourires radieux : l'épreuve initiatique est passée.

La «vraie» vallée Blanche

Sous les spatules, dès les premières pentes, c’est la divine surprise : au moins 20 centimètres de neige fraîche. Une bonne partie des skieurs bascule à droite, en direction de l’Italie, vers le gigantesque glacier du Tacul : c’est la vallée Blanche dite «classique», moins raide et moins tourmentée, mais plus longue et royalement panoramique.

Nous avons tiré à gauche pour rejoindre la «vraie» vallée Blanche, sur le glacier du même nom. Alors que, peu à peu, la pente se creuse, les premières crevasses apparaissent, brèches béantes ou sournoisement cachées sous des ponts de neige. Le plaisir de tracer quelques courbes élégantes dans la poudre est décuplé par l’extrême attention exigée par les lieux : ne pas s’approcher trop des crevasses - visibles ou pressenties -, garder un œil sur le bas pour ne pas se fourvoyer dans une impasse, choisir ses zones d’arrêt, se méfier des ruptures de pentes où la neige aurait pu s’accumuler.

L’itinéraire en cordée de l’arête (3 700m). Photo Pascal Tournaire

Ces précautions et l’effort du ski en neige fraîche, rendu violent par l’altitude, obligent à des pauses incessantes. Nous skions à tour de rôle, seuls dans la montagne, éblouis par la beauté du glacier d’où émergent dalles de granit fauve et blocs de glace bleue monumentaux, les séracs. Le panorama est inépuisable : à gauche, les aiguilles de Chamonix ; en face, le bassin de Talèfre, de la Verte au Triolet ; à droite, la dent du Géant. Nous empruntons, encore plus à gauche, l’itinéraire du «Petit Envers». La descente est raide et impressionnante.

La Mer de glace, vue imprenable

On rejoint les traces des skieurs arrivant de la vallée Blanche classique, le long des séracs du Géant, pour gagner le refuge du Requin (2 516 mètres) par une traversée à flanc de pente. La pause est rituelle : sur la terrasse à l’incomparable panorama (pour peu qu’on supporte la bise glaciale du jour) ou dans la salle exiguë mais chaleureuse, où les gardiens servent la pasta, la soupe et la tarte. Derrière le refuge, les pentes sont raides et déjà labourées par les nombreux passages. Le ski n’y est pas facile au-dessus des étendues planes de la Mer de glace, l’énorme glacier de fond de vallée, seconde partie de la Vallée blanche. On y arrive bientôt pour une longue glissade en pente douce, sans efforts, les yeux perdus sur les faces monumentales des alentours, Grépon, Dru, et bientôt Grandes Jorasses.

Le «Pas dans le vide» (3880m). Photo Pascal Tournaire

Nous dépassons à main gauche les échelles menant à la gare du Montenvers et son train vers la vallée : aujourd’hui les conditions d’enneigement permettent exceptionnellement de poursuivre jusqu’à l’ultime langue de la Mer de glace. Après une quinzaine de minutes de montée à pied, skis sur le sac, nous rejoignons la Buvette des Mottets (1 638 mètres). Autrefois au bord du grand glacier, elle le surmonte d’une centaine de mètres aujourd’hui : le réchauffement climatique a imposé un recul saisissant à la Mer de glace. On trinque, avec une vue imprenable sur la face ouest du Dru, avant de rechausser les skis pour une descente ludique sur une piste forestière jusqu’à Chamonix, non loin du téléphérique emprunté ce matin. Mais était-ce seulement il y a quelques heures?

Pratique

Période: de janvier à mai selon l'enneigement

Durée: de quatre à six heures environ tout compris

Matériel: DVA, pelle, sonde, baudrier, crampons et matériel de secours en crevasse.

Topo-guide: La vallée Blanche, plus beau hors-piste du monde, par François Damilano. JMÉditions, Chamonix, 2009. 160 pages, 19,90 €.

Infos sécurité: le livret «Vallée Blanche» de la Chamoniarde de secours, simple et efficace, à télécharger : www.chamoniarde.com

Remontées mécaniques: aller simple pour l'aiguille du Midi si l'enneigement permet le retour ski aux pied à Chamonix : 48,50 €. Si l'enneigement est en altitude seulement, forfait journée « Mont Blanc unlimlited » pour le téléphérique et le train depuis le Montenvers : 60 €. Infos et réservations : www.compagniedumontblanc.fr

Encadrement: compagnie des guides de Chamonix (www.chamonix-guides.com ou 04 50 53 00 88) ou bureau des Guides du Mont-Blanc (AIGMB, www.guides-du-montblanc.com ou 04 50 53 27 05). 85 € par personne en groupe de 4 à 6.

Accès: En train (TER et TGV depuis St Gervais-les-Bains-le Fayet puis ligne Mont-Blanc Express jusqu'à Chamonix) ou en avion (aéroport de Genève puis bus ou taxi). * Hébergement à Chamonix : www.chamonix.com.

Bon plan «tout compris»: stage UCPA « vallée Blanche » de 2 jours à 276 €, encadrement, hébergement, remontées et matériel compris. Jusqu'au début avril. Infos et inscriptions : www.ucpa-vacances.com