Menu
Libération
Tanzanie

Kilimandjaro, le col élémentaire

Une saison en hiverdossier
Chaque année, près de 2 000 randonneurs tentent de gravir le Kibo, le plus haut des trois volcans du Kilimandjaro. «Libération» a tenté l’aventure pour atteindre le «sommet» de l’Afrique. Epuisant et euphorisant.
Le Kilimandjaro vu du mont Meru, volcan du Nord de la Tanzanie. (Photo M. Boermans. Getty Images. Aurora Creative )
publié le 6 mai 2016 à 17h11
(mis à jour le 5 octobre 2016 à 17h20)

Avachi sur deux bâtons de marche, on fixe, exténué, Uhuru Peak, à 5 895 mètres d’altitude. Nous ne sommes qu’à trente minutes du sommet du Kilimandjaro, qui surplombe le continent africain. Après six heures de montée, de nuit, il reste 200 mètres de faux plat, mais ce sont les plus épuisants. Severin, le guide-assistant, nous force à avaler une boisson énergisante. Et l’on reprend en ahanant la lente progression, un demi-pied devant l’autre. Notre petit groupe a-t-il présumé de ses forces ?

Chaque année, près de 2 000 randonneurs, âgés de 35 ans en moyenne, tentent de gravir le «Kibo», le plus haut des trois volcans du Kilimandjaro, cet énorme chapeau de 80 kilomètres sur 50 coiffant la savane tanzanienne, près de la frontière avec le Kenya. Environ 60 % des trekkeurs y parviennent et se prennent en photo face aux glaciers en équilibre sur les pentes brunes et rocailleuses, devant les panneaux de bois annonçant en lettres jaunes «The Africa's highest point», le «sommet» de l'Afrique. Une demi-douzaine de touristes ou porteurs décéderaient chaque année. Lors de l'ascension, nous croisons d'ailleurs un trekkeur rapatrié sur un brancard.

Antalgique et somnifère

Les guides nous répètent de marcher «polé polé», «doucement» en swahili, ce qui nous convient à merveille. Nous devons boire 3 litres par jour pour éloigner le spectre du mal aigu des montagnes, provoqué par la chute de la pression atmosphérique et qui peut engendrer un œdème pulmonaire ou cérébral. D'où gros mal de tête au col de Lava Tower, à 4 600 mètres. Va-t-il falloir abandonner ? Heureusement, la voie Machame, que nous avons choisie, redescend à Barranco Camp (4 000 mètres) où l'on passe la nuit, ce qui permet de s'acclimater à l'altitude. Un antalgique, un somnifère et le lendemain la machine est effectivement à nouveau en ordre de marche. Le diurétique destiné à lutter contre le mal des montagnes qu'il est conseillé d'avoir sur soi et pris deux matins de suite, s'est donc révélé inutile.

Des

Senecio keniodendron.

Getty Images. K. Whitworth

Poids maximum

Les sherpas, eux, ne se posent même pas la question. Ils sont au moins trois par touriste à porter nos affaires, mais aussi les tentes et les victuailles. «C'est facile, on fait ça plusieurs fois par mois», sourit, à peine transpirant, le mince Juma qui paraît écrasé par le sac de toile verte jeté sur ses frêles épaules. L'ONG Kilimanjaro Porters Assistance Project a fait adopter le principe d'un poids maximum de 20 kilos et des conditions de travail décentes. Il y a quelques années, les sherpas dormaient encore dans des abris de fortune, comme ce tunnel de lave situé à 3 800 m d'altitude, à Shira Camp. Payés entre 5 et 6 dollars par jour (de 4,30 à 5,20 euros), ils effectuent un travail pénible ; en contrepartie, ils gagnent en une semaine, grâce aux pourboires, davantage que le salaire moyen mensuel tanzanien (50 dollars, 43 euros). Les guides, eux, perçoivent 30 dollars (26 euros) par jour lorsqu'ils sont employés par des agences de voyage occidentales. «Et seulement 15 à 20 dollars» (13 à 17 euros), avec les agences tanzaniennes, déplore Enock, un guide francophone contraint de cultiver et de vendre des légumes entre deux treks. Isaack, un de ses collègues, surnommé «black Chinese» en raison de ses surprenants yeux bridés, effectue, lui, de menus travaux d'électronique pour «payer l'école» de ses deux enfants.

Un camp sur la voie Machame. Getty Images. Aurora Creative

La déforestation

Tous deux craignent que l'inexorable fonte des neiges fasse perdre de sa magie au Kilimandjaro. Le volcan est toujours «vaste comme le monde», comme l'écrivait Ernest Hemingway il y a près d'un siècle, mais il n'est plus «incroyablement blanc dans le soleil». La célèbre calotte enneigée, d'une superficie de 12,1 km2 en 1912, ne recouvre plus que 1,8 km2. Selon les climatologues, les glaciers du sommet pourraient avoir totalement fondu d'ici à 2035. Lors de notre ascension, la température est pourtant descendue à - 10 °C. Mais il faut désormais s'écarter du sentier pour enfin piétiner les fameuses neiges du Kilimandjaro. En cause, le réchauffement climatique et la chute des précipitations, elles-mêmes dues à la déforestation dont est victime la rainforest moussue des pentes du «Kili». Le massif est inscrit au Patrimoine mondial de l'humanité depuis 1987 et le parc national, où s'ébattent des bandes de singes, est protégé : il n'empêche, nous croisons de nombreux habitants venus des plaines s'approvisionner en bois pour cuire leurs aliments.

But ultime

Une fois la forêt tropicale franchie, la voie Machame traverse des paysages rocailleux quasi lunaires où poussent d’étranges séneçons, une plante grasse qui émerge dans la brume de fin d’après-midi. La progression est régulière et finalement plaisante, même s’il faut, chaque jour, gravir au minimum 800 mètres de dénivelé durant six à huit heures. Les soirs, alors que nous nous effondrons dans les tentes, nos voisins continuent de rigoler en jouant aux cartes.

En réalité, seule la dernière épreuve, de dix-sept heures, est vraiment hors norme: lever à minuit et demi et 1 300 mètres à gravir, avant d’atteindre, peu après le lever du soleil, notre but ultime. Nul besoin de corde ou de crampon pour grimper ce mur sans fin, il faut en revanche un mental de bête de somme. Ça tombe bien…

Epuisés, heureux et fiers, flirtant avec les 6 000 mètres, nous passons une demi-heure à sourire béatement au-dessus de la mer de nuages.

Crédit: Antonin Rémond / Flickr.

Pratique

Y ALLER Avec un tour-opérateur La plupart des touropérateurs spécialisés dans la randonnée organisent ce grand classique. Terres d'aventure, Nomade ou Allibert proposent des treks à moins de 2000€. Il est aussi possible de faire appel à un guide local. Les nôtres: Isaack Elias (arrowtrekking.africa@g mail.com) ou Enock Fabiani Mangara (fabianenock@gmail.com) Par ses propres moyens Prévoir entre 800 euros et 1000euros le vol depuis Paris (via KLM, Kenya Airways, Qatar Airways ou Ethiopian Airlines), avec escale à Nairobi (Kenya), puis 1600 à 2200euros le trek.

Attention: le prix d’entrée dans le parc du Kilimandjaro n’est pas toujours compris dans les tarifs indiqués. Sans oublier 100 à 300euros de pourboire à verser aux porteurs, aux cuisiniers, aux guides.

A noter: certaines agences fournissent un caisson hyperbare et des bouteilles d’oxygène en cas de mal aigu des montagnes, ce qui peut rassurer. La plupart d’entre elles soutiennent l’ONG Kilimanjaro Porters Assistance Project qui veille aux conditions de travail des sherpas.

QUAND PARTIR? Pour éviter les pluies, les meilleures périodes courent de janvier à mars et, plus froids, les mois de juin à octobre. Sur les sept voies possibles, les voies Marungu (la «Route Coca-Cola») et Machame (la «Route whisky») sont les plus usitées. L'ascension dure de cinq à dix jours. Plus le trek est long, plus le corps a des chances de s'adapter à l'altitude, mais plus le budget est élevé. Par ailleurs, une certaine lassitude peut s'installer à mal dormir dans des tentes humides, sans se laver.