Nous republions cet article alors que le compte Twitter de Libévoyages vient de dépasser les 8600 abonnés. Pas loin des 8611 mètres du K2...
Le K2 est la star du Karakoram – son sommet le plus élevé et le plus impressionnant. Selon Reinhold Messner – opinion partagée par de nombreux alpinistes actuels, c’est le sommet le plus dur du monde, même par les voies les plus faciles, à savoir l’éperon des Abruzzes et l’arête nord (1).
Imaginez une montagne au milieu des montagnes. Une montagne parfaite. Une pyramide de pierre et de glace. Raide et élancée. Aux lignes fuyantes comme le trait d’un dessin d’enfant.
Imaginez un sommet si haut qu’on l’a cru plus haut que l’Everest.
Imaginez une montagne cachée. Isolée aux confins du Pakistan et de la Chine, là où la frontière des hommes n’est que glace, roc et altitude. Là où des hommes se défient de leurs frontières.
Imaginez un immense glacier. L’un des plus long du monde. À la source de ce fleuve de glace de plus de 60 kilomètres, quatre des plus hauts sommets de la Terre percent l’azur au-delà des 8000 mètres.
Imaginez une montagne invisible aux yeux des hommes. Malgré sa hauteur (8611 m), elle se dérobe aux regards de la civilisation. On ne peut l’apercevoir d’aucune route, d’aucun village. Elle ne se dévoile qu’à l’explorateur, qu’à l’alpiniste ou le marcheur après quatre longues journées de chemins poussiéreux et de moraines interminables.
Imaginez une première tentative d'ascension au début du XXe siècle par un glaciairiste anglais d'avant-garde (Oscar Eckenstein, inventeur des crampons modernes), un médecin-photographe suisse génial (Jules Jacot-Guillarmot qui ramena des photos stéréoscopiques d'une beauté à couper le souffle et observa — le premier — les symptômes du Mal Aigüe des Montagnes), et d'un richissime occultiste écossais (Aleister Crowley, menaçant ses coéquipiers d'un revolver au gré de ses humeurs).
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Imaginez quelques années plus tard un authentique prince italien (Louis Amédée Joseph Louis Ferdinand de Savoie-Aoste, duc des Abbruzes) intrépide explorateur parvenant à monter à presque 7000 mètres et devinant la voie logique vers le sommet.
Imaginez qu’en 1939 — 11 ans avant la conquête du premier sommet de plus de 8000 m, l’Annapurna — l’américain Weissner monte jusqu’à 8400 m sans oxygène et finit par faire demi-tour par respect pour son compagnon Pasang persuadé que la nuit des hauts sommets n’est que la demeure des démons.
Imaginez le lenticulaire qui encapuchonne si souvent son sommet, un couloir vertigineux barré d’un sérac menaçant qui en barre l’accès.
Imaginez des hommes (et des femmes) obsédés par sa conquête et trop souvent piégés par leur ambition. Pendant quelques années, les statistiques ont été implacables: un summiter sur quatre ne redescendait pas vivant de la cime. Ainsi faut-il comprendre cette tentation des superlatifs dans les récits himalayens : «montagne sans pitié», «montagne sauvage»...
Imaginez un nom géographique à l'image de son profil: K2. «Seulement squelette d'un nom, tout de roche, de glace, de tempête et d'abîme. Il ne fait aucune tentative pour paraître humain. Il est atomes et étoiles. Il est nu comme le monde avant le premier homme – ou la planète en cendres après le dernier» écrit l'alpiniste italien Fosco Maraini.
Caméra à l'épaule, j'embarque dans quelques jours vers la montagne des montagnes, le second sommet de la Terre. Et pour une nouvelle fois fois après notre aventure à l'Everest en 2014 (2), je vais me glisser durant deux mois dans les pas de l'alpiniste genevoise Sophie Lavaud (3) qui tentera là-haut de gravir son sixième 8000...
Pour mon bonheur d’alpiniste. Pour ma curiosité de cinéaste. Pour vous raconter.
(1) Andy Fanshawe & Stephen Venables. L'Himalaya en style Alpin, Arthaud 1996.
(2) www.vimeo.com/ondemand/everest
(3) www.sophielavaud.com