Chronique décalée des sports d’hiver et de la vie en plein air, là-haut, dans nos montagnes...
Par l’écrivain Cédric Sapin-Defour.
Certains qui n’y connaissent rien disent scooter des neiges mais ça sonne trop 50 cm3 pour ado boutonneux ; on préfère dire motoneige, ça fait plus sérieux. Plus biker. Culturellement, choix a été fait de pratiquer le ski en hiver, étonnant quand on sait qu’à cette saison, le jour décline vite. A 17h, la nuit tombe, les pistes ferment et l’hivernant s’ennuie, les pieds chagrins dans ses après-skis, moon boots pour les plus nostalgiques du jour.
Les skis avec phares n'ayant toujours pas été inventés, louée soit la motoneige pour rendre la soirée brillante. Le public est demandeur ; on pourrait penser le contraire, que les vacances à la neige existent pour rompre avec le quotidien mais non, certains touristes veulent retrouver là-haut leurs plaisirs d'en-bas, BigMac, wifi et donc vroum-vroum. Soit.
Le chalet en lisière du bois, départ des motoneiges, se repère facilement dans le soir, une musique trépidante, des oriflammes également discrètes, quelques tipis du début du siècle et un slogan accrocheur du type « vivez la montagne à l’état pur ! ». Oxymore mais ils ne sont pas méchants.
Des guides professionnels vous accueillent ainsi qu’une hôtesse qui n’a pas froid.
Avant de partir, on vous sert un bon (un grand) verre d’Apremont. Ceux qui n’ont pas bien révisé leur terroir disent que c’est autrement bon. L’ambiance se détend, une petite blague sur les bleus (la police) qu’on ne risque pas de croiser la nuit dans la forêt glacée sera la bienvenue pour être adoubé. Les plus drôles diront qu’ici, on n’est pas au bois de Boulogne et qu’on peut pisser sans crainte derrière les buissons car les brésiliennes craignent le froid. Souvent un saucisson accompagne le tout, gras, souci de cohérence.
Puis vient le moment du briefing, à écouter attentivement, question de surving.
Michel, le guide chef (niveau IV) qu’on doit appeller Popo, dit que les enfants sont les bienvenus dès 10 ans, autant leur donner tôt le goût de l’aventure et de l’effort. Il faut juste qu’ils mesurent plus d’1m35. Un du groupe demande si ça Passe Partout avec la motoneige mais personne ne comprend sa blague à 1m20.
Le guide explique au groupe que l’engin se conduit plus comme un quad que comme une moto ce qui désappointe le pur biker qui tient bien moins à la vie qu’à son terrible engin et qui chez lui sort sa moto même quand il neige, c’est dire comme on est vaillant à Béziers.
Le guide rassure les frileux, sièges et poignées sont chauffants. Une petite blague sur les lopettes sera la bienvenue. Ou les tafioles.
Le guide dit qu’il faudra bien le suivre et pas faire n’importe quoi car il connaît les amateurs de sensation forte, ils sont plutôt du genre rebelle mais que si un du groupe se perd – ça n’est jamais arrivé - il faut attendre et ne surtout pas bouger, choix judicieux une nuit d’hiver. De toute façon, dans chaque motoneige, il y a une radio, pas d’inquiétude. Un autre rigolo, décidément c’est le soir, dit que c’est une bonne idée la radio, ça fait passer le temps. Pas certain qu’il rigole.
Puis la caravane part. Les chiens de traineau aboient. Une petite blague sur la chenille qui démarre serait des mieux choisies mais on ne s’entend plus. Quel boucan ça fait des chiens !
Le pur biker va aller de déception en déception.
Sa madame blonde aux formes généreuses, on ne sait plus qu’elle est blonde sous sa chapka rehaussée d’un casque et ses formes généreuses sont nuitamment camouflées sous sa salopette de skis et gilet fluo. A quoi bon sortir madame ? L’hiver prochain, c’est décidé, direction Bonifacio, 25°, short en jean et désirs dans le creux de ses reins.
Croisant un autre groupe d’explorateurs motorisés, le biker enrage de ne pas pouvoir célébrer Barry Sheene, ses congénères et la bienséance motarde. La moufle rend le salut en V, deux doigts fièrement écartés, un tantinet confidentiel. A quoi bon chauffer les poignées si c’est pour demeurer impoli ?
Quant aux caribous promis, appelés cerfs en patois savoyard, pas un seul de la soirée. Le guide dit qu’il faudrait parler moins fort pour les apercevoir. Chut…
Heureusement, la cheminée fume dans ce petit restaurant en bordure des pistes. La patronne s’appelle Josiane, quarante qu’elle est là, une Joe Bar Team pour sûr. La procession s’y arrête. C’est le deuxième service, ceux du baptême en dameuse viennent de partir. Accordéon, raclette, caribou braisé et génépi, si c’est pas du dépaysement ! Comme tout bons motards, ça cause du chemin parcouru et de celui qui reste à faire, en somme la vie.
Un dernier pour la piste et on repart.
Au retour, le guide dit qu’on a le droit de faire des petits sauts sur les butes. Tout le monde crie «super!» sauf le rieur à Passe Partout qui cherche la contrepèterie.
Retour aux tipis. 83 euros. Même pas cent balles. Plus le DVD de la sortie. Bon d’accord, cent balles.
Le groupe se sépare à regrets. Dans l’adversité et la wilderness naissent de franches amitiés. Fraternité motocycliste oblige, les mecs se prennent dans les bras et se tapent fort les omoplates.
Une petite blague sur les tantouzes?

de Cédric Sapin-Defour:
[ «Dico Impertinent de la Montagne» ]
(JMEditions, 2014).
[ «Qu’ignore-je? L’alpinisme» ]
(JMEditions, 2015).
Et à paraître:
«Gravir les montagnes est une affaire de style» (Editions Guérin, 2017).