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L’être et le ski: Sartre en freerider?

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Je skie, donc je suis. Aussi étonnant cela paraisse, un philosophe s’est particulièrement intéressé au ski! Dans «L’être et le néant», Jean-Paul Sartre y voit une façon d’éprouver sa liberté. Le décryptage d’Alain Ghersen, en alpiniste philosophe.
(Thierry Ehrmann / Flickr)
par ALAIN GHERSEN, (pour la revue L’Alpe)
publié le 5 décembre 2016 à 9h18

Exercer le métier de guide en hiver donne régulièrement l'occasion d'observer à quel point faire sa propre trace en ski dans une pente de neige vierge produit un plaisir sensoriel partagé par tous. Cette unanimité laisse penser que nous sommes en présence d'un plaisir que l'on pourrait qualifier, et non sans exagération, d'universel. À tout le moins fait-il fi des milieux sociaux. En fouillant dans l'histoire des idées, on trouve non sans surprise un ouvrage de philosophie qui s'interroge sur le mouvement de la glisse. Il s'agit du monumental L'être et le néant. Dans la toute dernière partie du livre, Jean-Paul Sartre (1905-1980) analyse les enjeux existentiels de cette pratique. Pour introduire sa réflexion sur la glisse, il commence par questionner la notion de jeu et, plus spécifiquement, le jeu sportif, considérant le ski comme une de ses multiples expressions.

Le jeu tient en effet une place à part dans le champ des activités humaines. Dans le règne animal, il reste le biais par lequel les jeunes d’une espèce développent leur instinct déjà présent en eux grâce à la transmission génétique. Mais pour le genre humain le jeu ne remplit pas cette fonction. En tant qu’être de culture, l’homme ne suit pas un programme dicté par un instinct préréglé.

La notion de jeu reste toutefois problématique en ce qu’elle s’oppose à celle de travail, concept dans lequel on voit généralement l’accomplissement de la condition humaine. Elle pose la possibilité de la gratuité voire de l’inutilité (tant au sens social que vital) d’une action. L’écrivain André Gide a su montrer dans Les caves du Vatican l’impasse que représente un geste qui se voudrait résolument gratuit mais qui, se donnant ainsi une fin précise, perdrait instantanément toute gratuité. L’exemple que met en scène Gide est celui du passager d(un train qui assassine, sans aucune raison apparente, un inconnu dans le but unique de commettre un acte de pure gratuité.

Sartre n’interroge pas le concept de jeu sous l’angle de la gratuité, mais plutôt sous celui de l’authenticité qui reste ce qui définit un acte libre. Pour autant, il reprend à son compte, au point d’en faire l’élément central de sa conception radicale de la liberté, l’idée cartésienne que la conscience peut (…)

Lire la suite de cet article dans le numéro 75

(Glisse, la grande aventure), daté hiver 2016/2017, de la revue trimestrielle L’Alpe, publiée par les éditions Glénat et le Musée dauphinois (100 pages. 18 euros, en vente en kiosques, en librairies, par abonnement ainsi que sur la boutique en ligne de la revue).

Alain Ghersen a réalisé en tant qu'alpiniste de nombreuses premières en solo dans les années 1980 et 1990. Parallèlement à son activité de professeur à l'École nationale de ski et d'alpinisme, il prépare actuellement une thèse de philosophie. Il est l'auteur chez Glénat de Risque et alpinisme. Réflexion philosophique sur l'Homo alpinus.