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Libération
Profession Guide (2/6)

«Il nous faut toujours rester vigilants, chaque situation est complexe»

Le syndicat national des guides de montagne fêtait il y a un mois ses 70 ans. L’occasion de faire un point sur une profession en pleine mutation. Rencontres.
Lors d'une course sur l'Arête des Cosmiques. (James Thacker / Twitter)
publié le 10 janvier 2017 à 9h20

70 ans. Le syndicat national des guides de montagne organisait du 6 au 10 décembre dernier un anniversaire un peu particulier. Au programme de cette semaine, colloques et conférences pour faire le point sur ce que devient le métier, mais aussi projection de films, soirées dégustations… Et l’occasion de rencontrer nombre de professionel(les).

Ulrika Asp

Ce qui a changé depuis qu'elle a commencé, il y a 20 ans, c'est que «la demande est moins humaine, les clients se font une idée de la course par internet, ils croient plus à wikipédia qu'à leur guide», explique Ulrika. «C'est ça qu'il faut faire» te disent-ils, «ta parole a moins de valeur, les échanges humains ne se font pas forcément. Si l'offre qu'on leur propose ne leur plaît pas, ils vont voir ailleurs, on a pas mal de demandes qui n'ont pas de suite».

L'an dernier, elle a eu un client suédois, très bon skieur de 60 ans, qui voulait «bouffer» de la poudreuse, «il s'en fichait de la nature ou de faire un peu de ski de randonnée, il était boulimique de virages en profonde. C'est super déprimant d'être confronté à cela, cela fait 30 ans qu'il skie, il est incapable de sentir le moindre danger, un copain de sa fille est pourtant mort dans une avalanche». Il y a cela, cette prise de risque avec l'ignorance du danger et ce besoin de consommer à tout prix. «Nous devons lire et savoir quand ils sont fatigués, argumente la guide. Il y a beaucoup de communication non verbale. Faire le guide, c'est bien, mais il faut beaucoup de partage et de psychologie, ils essaient d'inculquer cela à l'école». Elle, «la Suédoise», qui arrive «de nulle part», sans capacités techniques énormes, elle parvient quand même à en vivre.

«Il y a des choses à changer dans notre métier, il faut qu’on tente de réduire les accidents. Nous participons à une diversité de métiers et de pratiques qui donnent richesse à notre société. Il y aura toujours des gens qui voudront essayer de se décoller de cette conception élitiste de la montagne, la démocratiser, assurer que c’est pour tout le monde, qu’il suffit d’y aller, qu’on n’est pas obligés de faire cette face noire en deux heures et demie, que le plus important c’est d’y être».

Elle a passé le diplôme en 2006. Le niveau des clients reste stable, selon elle, peut-être que les skis permettent de réaliser des choses plus difficiles. «Nous guides, on a nos petites astuces pour calmer les clients, ceux qui ont les yeux plus gros que le ventre, par exemple les tester sur des passages un peu difficiles qui les feront en rabattre un peu», concède-t-elle.

«Aujourd’hui, à la montagne, on est valorisés quand on a pris trop de risques et qu’on s’en est sortis. On a tous des anecdotes d’incidents, on ne nous écoute pas, on n’a pas assez bien communiqué sur les conditions, pas bonnes, on s’est fait pousser par les clients… On manque parfois d’outils pour prendre les bonnes décisions. On se rend compte qu’on a fait des conneries, et qu’on a eu de la chance. Il nous faut toujours rester vigilants, chaque situation est complexe».

Elle dit n'avoir jamais approché la montagne comme un défi, «c'est toujours quelque chose que je faisais si je le pouvais, je n'ai jamais accompli d'exploits». La montagne, pour Ulrika, c'est juste un endroit de «totale liberté», où chacun est responsable de ses actions, un lieu magnifique.

«En France, on vit avec un passé très individualiste, qui se retrouve dans notre profession, je trouve cela intéressant de réfléchir quant à la direction que prend notre métier, de mettre en place un collectif, souligne la guide. On sait tous, ce qui fait peur dans notre métier, notre responsabilité. Une décision mauvaise peut entraîner la mort des gens. Il y a une super-solidarité entre les guides, j'y ai découvert un univers de partage d'expérience, moi qui suis une femme qui vient de loin, si je vais dans les Pyrénées ou une autre montagne, j'appelle un guide pour savoir ce qui se passe dans tel ou tel endroit, il me dira, c'est extraordinaire. Quand je suis arrivée, j'ai découvert cet univers-là, même si certains m'ont regardé un peu de travers, j'ai eu des commentaires mais beaucoup moins que ce que je pouvais croire».

Ulrika aurait bien aimé passer le monitorat de ski, avoir ce complément-là, de pédagogie. «Il y a peu de femmes guide, c'est sans doute une question de rapport au risque, beaucoup de femmes pourraient cependant y prétendre», raconte-t-elle. «On fait de la montagne un peu différemment, mais on pense exactement pareil, (avec les hommes ndlr), on a les mêmes réflexes en escalade, les mêmes façons de penser, les mêmes conclusions sur les situations. Question endurance, on peut être à égalité avec les hommes, c'est sur la force physique qu'on est en deçà», conclut Ulrika.