Chronique décalée et irrévérencieuse des sports d'hiver et de la vie en plein air, là-haut, dans nos montagnes…
Par l'écrivain Cédric Sapin-Defour.
Aller en boîte de nuit le jour, c’est formidable.
Qui plus est sur les pistes de ski, du bonheur.
Les bars d’altitude qui offrent (au sens de proposer) aux touristes cette chance de pouvoir danser sous les sunlights des grands pics portent généralement des noms en vieux patois savoyard comme Snow Fire ou Mountain Crazy Danse. Dans ces bars, on y fait du clubbing, ça veut dire qu’on danse, qu’on boit et qu’on espère trouver la future mère de ses enfants. Club signifie en effet «groupe de personnes se réunissant en privé pour échanger des idées» tant pis pour les idées, se réunir suffira. Les réacs disent qu’on aurait pu trouver un terme bien de chez nous au lieu de rajouter du «ing» à tout va, ceux-là oublient que club n’était déjà plus très gaulois.
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Danser et boire en plein jour sont devenus des activités tendance l’hiver à la montagne. Ses inventeurs se sont dit que dans «sports d’hiver» il y a «sport» et que si la danse est un art, elle réclame également de hautes qualités physiques et de l’entraînement. Et boire, de l’endurance. Le réchauffement climatique offrant à la Tarentaise des isothermes d’Ibiza a fini de convaincre les gentils organisateurs que se bourrer la tronche en tortillant de la combinaison était une activité d’avenir. Alors dansez maintenant. Les après-midi de nos hivers prennent des allures de Spring Break de l’Alpe, ivresse, hystérie, alcool et musique à donf pour des skieurs n’ayant pas tous poussé jusqu’à l’université.
Les propriétaires des bars se défendent de dépraver les masses skieuses, ils ne servent que de la bière, du vin ou du champagne. Qu’ils sont drôles. Que des alcools légers ! De l’oxymoron… c’est qu’ils font café littéraire en prime, quelle somme de talents ! Qui sait, peut-être un jour le Prix Goncourt sera-t-il remis en direct du Snow Fire par Cyril Hanouna?
Sur les terrasses des bars, grâce au DJ, on s’amuse comme des petits fous.
Certes il y manque un peu de chaises. Heureusement la courtoisie bat son plein, les premiers arrivés déjà bien hydratés laissent généreusement leurs chaises aux suivants et prennent pied sur les tables. Qui a dit que l’individualisme mitait la jeunesse d’aujourd’hui?
On rit, on danse, on joue comme des enfants. Danser avec des chaussures de ski présente cet avantage suprême qu’on croit que vous ne savez pas danser à cause de vos chaussures de ski. Souvent s’invite le phénomène d’inversion des températures, bien connu des montagnards : en haut il fait chaud, en bas il fait froid. Seins nus et pantalon de ski les jours de gros delta. Au fur et à mesure de l’après-midi, le froid reprend toutefois ses droits, on se serre de plus en plus pour résister ensemble et on se frotte du bassin, espoir de brasier.
Les touristes viennent pour la plupart des plaines ; à s’agiter en altitude, ils ressentent immanquablement une carence en iode à laquelle ils trouvent une parade amusante en se léchant la peau salée, la sienne ou celle des autres selon l’heure du manque. Que l’être humain est doué pour s’adapter aux contraintes de son environnement, la sélection naturelle retient les meilleurs.
Sur les télésièges passant juste au-dessus de la terrasse du bar, les élèves de CM1 en classe de neige sont rassurés. Tout le travail pédagogique préalable à la sortie était axé sur l’inquiétante disparition de certaines espèces de montagne dont l’emblématique tétras-lyre.
Il faut croire que ça va mieux, quelques poules peu farouches et un nombre suffisant de coqs échauffés semblent avoir été réintroduits pour que la descendance des gallinacés soit assurée dans le massif. L’instituteur, comme toujours, avait raison, c’est bien au printemps que la parade nuptiale bat son plein : les mâles se retrouvent sur des espaces plats et dégagés, les aires de parade. Au centre de cet emplacement se trouve l’arène où les coqs paradent, chantent et se mesurent l’appendice malgré le froid. Pendant ce temps les poules vagabondent d’une place à l’autre, et choisissent chacune leur futur partenaire. Rien de mieux pour nos petites têtes blondes que d’apprendre en vrai. Le petit Jules demande au maître s’il y a aussi des tétras-lyres à Ibiza.
En fin d’après-midi, il faudra à regret que la troupe dansante redescende. Petit à petit les pisteurs secouristes se rapprocheront du Snow Fire pour se faire Sam de début de soirée. N’ont-ils pas choisi ce métier pour secourir les touristes en perdition?
Si par bonheur tout ce petit monde retrouve tee-shirts, skis et identité, les pisteurs se répartiront, devant pour guider, derrière pour relever avec sans doute quelques envies de planter de bâton. La totalité des pisteurs est chaque soir réquisitionnée, sachez-le, vous blesser à cette heure précise sur une autre piste ne serait pas la meilleure des idées…