Aéroport de Tribhuvan, Népal – 16 avril
Les formalités sont obligatoirement longues. Il y a une queue démente à tous les guichets. Lorsque mon tour arrive enfin, le petit douanier en bleu prend un air sévère pour marquer son autorité : «It’s your first time in Nepal?» Pour qui il me prend, celui-là ? Pour un blanc-bec ? Il n’a même pas posé la question au mec en jaune. Je croyais que ça se voyait un petit peu que j’étais un habitué. En plus sur le papier que l’on remplit à l’aérogare, à la mention motif de votre séjour au Népal, j’ai coché d’une grosse croix Mountaineering, laissant de côté avec dédain la mention Trekking. Visiblement, il n’en a rien à taper.
Bagages… Le tapis roulant se met en branle et chacun scrute le rideau noir en caoutchouc d’où commence à sortir le contenu de la soute de l’avion : valoches défoncées, cartons de télé ou de gazinières bien ficelés, sacs de voyage à roulettes, sacs en plastique, balluchons sanglés dans des couvertures écossaises, bref tout le bric-à-brac que les Népalais ramènent des Émirats où ils travaillent. Tout comme les Pakistanais ou les Indiens, les Népalais constituent une main d’oeuvre au rabais pour les pétromonarchies du Golfe. Ceux qui rentrent avec leurs emplettes sont les plus vernis. La plupart restent coincés des années, croulant sous les dettes. Ils se sont expatriés dans l’espoir de gagner des gros paquets de dollars à envoyer à leur famille, en attendant de rentrer pleins aux as quelques années plus tard. La réalité est souvent plus glauque. Ils travaillent comme des bêtes à la construction des palaces aux folles architectures, pour des salaires de misère leur permettant à peine de payer le loyer des taudis où ils s’entassent. Papiers confisqués, sans protection sociale, sans possibilité d’envoyer toutes les roupies promises à leurs familles, qui elles s’imaginent qu’ils sont en train de mener grand train, ils croupissent lamentablement.
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Une demi-heure que le tapis dégueule tout ce fourbis et toujours aucune de nos affaires… Un peu caractériel, il hoquète, accélère, s’arrête quelques minutes, puis repart en délivrant un bagage isolé. Soudain, un gros arrivage crée un mouvement de frénésie. Le sac de Jérémie apparaît, suivi de près de quelques sacs d’expé. Ça pourrait être les nôtres. Mais non, ils sont trop neufs, trop luxueux, tous identiques. Ce sont ceux d’une expé asiatique dont les membres sont identifiables à leur casquette rouge vif. Et il faut attendre encore. De Paris à Katmandou via Abu Dhabi, a-t-on vraiment une chance de tout retrouver ? Voilà le sac de Nadine, puis le mien, puis… encore des cartons de télé en partie éventrés.
Bientôt deux heures que nous avons débarqué. L’angoisse de Fab, François et Gildas-Hub se fait de plus en plus visible. Moi, je m’en fous, j’ai mon matos ! L’an dernier, je n’avais retrouvé mon sac qu’au bout de 48 heures. Il était allé se promener à Bangkok. Finalement, dans un dernier tir groupé, les bagagesmanquants arrivent ensemble. À la sortie de l’aéroport, c’est toujours le même cinéma. Les représentants des agences locales souhaitent la bienvenue à leurs clients avec un collier de fleurs. Chacun est évidemment ravi d’être salué personnellement et monte d’un cran dans l’élégance: le défilé des Bronzés en Himalaya peut commencer! Et quand ce petit monde partira vers la montagne, il aura droit à une kata, espèce d’écharpe en soie synthétique blanchâtre, censée porter chance sur les hauts sommets de l’Himalaya. Depuis le temps, si ça marchait, ça se saurait ! Mais bon, c’est folklorique et somme toute assez sympa.
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d’Yves Exbrayat aux éditions JME. 184 pages, 9,5 euros.