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Compétition

Le halfpipe, à plein tube

Une saison en hiverdossier
A l'occasion de la finale de la Coupe du Monde de ski halfpipe à Tignes début mars, zoom sur la discipline avec quelques champions.
(http://www.tignes.net)
publié le 21 mars 2017 à 11h12
(mis à jour le 21 mars 2017 à 11h14)

A Tignes, Benjamin Ravanel, 35 ans, est l’homme de la situation. Il a façonné, conçu, construit le half pipe, pour cette épreuve de coupe du monde qui s’est déroulée les 6 et 7 mars derniers

. Tout s’est réalisé une vingtaine de jours à l’avance pour

«pousser la neige dans les courbes»

. Un travail d’une semaine

«pour tailler les courbes» et monter 

des murs à sept mètres de hauteur. Ensuite, il a fallu fabriquer la bulle de départ, les plateformes télés et VIP…

Avant, Benjamin était rider, mais un accident lui a cassé un genou et il s’est dirigé ensuite vers sa passion première: conducteur d’engins. Il a commencé en 2001 avec des dameuses, puis cinq ans plus tard s’est mis au half-pipe.

Pendant longtemps, les snowparks n'étaient «pas en vogue», selon Ravanel, puis ils se sont démocratisés, et les skieurs se sont mis à «avoir envie de petits mouvements de terrain», de retrouver «les mêmes sensations qu'en faisant du quatre quatre en voiture». Ravanel pronostique un développement constant pour cette activité, tant que la fédération continuera à «investir un peu d'argent», et en espérant que la discipline entrera aux JO. Cela dépendra aussi de la succession des champions actuels: Marie Martinod, Kevin Rolland ou Ben Valentin. Mais Ravanel est un peu inquiet pour la suite, il ne voit pas vraiment de successeurs à ces étoiles-là. Même si les ESF (écoles de ski français) commencent à emmener les jeunes sur les snow parks…

Il faut aussi parler de cette difficulté à trouver des partenaires quand des Tessa Worley ou Alexis Pinturault – skieurs alpins — monopolisent l'attention médiatique avec leurs résultats. «Après, c'est aussi politique», note Ravanel «est-ce qu'on est par exemple prêts à organiser une coupe du monde?» Selon lui, il n'y a pas assez de compétitions en France pour repérer des graines de champion et les skieurs doivent s'exiler aux USA dès décembre pour s'entraîner et trouver les bonnes conditions.

Fitness, gym et muscu

Et voilà l’américain Aaron Blunck, 20 ans, originaire de Crusted Butte, Colorado. Enfant, Aaron s’amusait à effectuer des sauts, des flipps, des rotations, tout en gardant un grand respect pour l’alpin. Pour lui, le freestyle restait

«la chose la plus cool à faire»

, la plus

«à la mode»

. Pour s’entraîner, Aaron va au gymnase trois fois par semaine, fitness, gym et musculation, explique-t-il en grignotant des chips au wasabi. Il faut répéter la même figure et être sur les skis au maximum. Au classement Fis (fédération internationale de ski), Blunk pointe à la seconde place, 36

e

à l’AFP (association des free skieurs professionnels), et premier en half pipe (en championnat du monde). Son but, c’est de faire partie de l’équipe olympique US, aller aux Jeux pour gagner la médaille d’or, même s’il explique ne pas

«aimer (s)e fixer des buts, mais plutôt (s)e laisser aller faire ce qu'(il) aime faire».

En l’occurrence, ce qu’il apprécie le plus: c’est s’être sur la route «on the road»!, même si, souvent, la famille lui manque et qu’il en retrouve une autre de substitution, avec les riders.

Il compte continuer la compétition jusqu'à ce que l'usure «le gagne». Après le ski, il voudrait faire «quelque chose qui ait à voir avec le sport, genre team manager pour une marque». Son «pipe» favori se trouve à Vail (Colorado), mais il aime aussi ceux d'Irlande ou de Norvège, associés à la culture scandinave qu'il apprécie.

Maddie Bowman a 23 ans (ci-dessus à Tignes pendant un saut). Cela fait sept ans qu'elle est en compétition. Elle a obtenu le titre de championne olympique à Sotchi. «Je ne pensais pas en arriver là», dit-elle modestement. Elle explique qu'il faut beaucoup s'entraîner, se dépasser, «être confortable avec le fait d'être dans des situations inconfortables». Il y a des moments où elle s'est fait peur, mais le mieux dans ces moments-là, c'est de «se remettre en selle tout de suite», la récompense c'est de continuer» . Maddie est une tête bien faite. Elle étudie la biologie à l'université, voudrait être professeur. Elle n'a pas voté Trump et n'est pas d'accord avec lui, comme la plupart des skieurs américains.

Marie Martinod, 32 ans, globe de cristal cette année. Elle se présente dans la compétition – sans véritable enjeu pour elle car elle a déjà gagné — vêtue d'une espèce de combinaison écossaise du meilleur goût - «c'est quoi cette tenue?», lance un spectateur éberlué. Elle trouve le pipe de Tignes, «très beau», «le seul au pied d'une montagne des Alpes». Marie dit que s'élancer dans un pipe, c'est «jouer avec la peur, c'est comme un enjeu, passer d'une concentration extrême à de l'euphorie. On est drogués à cette adrénaline, mais tout est calculé, je n'aime pas qu'on pense qu'on est déjantés».

Pour ses sauts, Marie (ci-dessous à Tignes) évoque la gestion d'un timing précis, où tout est imbriqué pour avoir un «geste rondement mené». Marie a gagné ses premières coupes du monde en 2004. Elle pense avoir une «bonne étoile». Elle est ouverte sur le monde, sensible au sujet écologique, peste contre la finance mondialisée, et a du mal à «comprendre» la place de la femme dans la société, même si elle n'est pas une «grande féministe engagée». «Je suis une gamine de station, et une grande privilégiée de la vie». Elle a participé récemment à une campagne de prévention pour sensibiliser les gens aux risques sur la piste, aux règles de priorité, au matériel bien réglé et au port du casque – notamment en direction des moniteurs — et s'est attiré les foudres de la profession, qui lui ont conseillé, en substance, de s'occuper de ses affaires, et de se consacrer à ses sauts…

Pour conclure ce tout d’horizon du half-pipe, il fallait solliciter l’avis de Greg Guenet (1), 44 ans, l’entraîneur de l’équipe. Le coach trouve que les structures sur lesquelles ses skieurs se sont élancés cette année n’étaient pas toutes suffisamment bien réalisées pour garantir la sécurité des skieurs:

«cela a créé de la trouille car ils se sont mis en danger»

, raconte-t-il. Celui de Tignes, selon lui, se présente bien. Il précise que le bout de la courbe d’un half-pipe doit être vertical (90 degrés) et que si ce n’est pas le cas, les skieurs doivent changer leurs habitudes, ou ils risquent de «tomber sur l’angle», ce qui les met en danger, provoquant beaucoup de stress.

«Là celui qu’a tracé Benjamin Ravanel est bien, c’est une fine lame»,

remercie-t-il.

Il remarque que les filles ne sont pas vraiment concernées par cette problématique, car elles ne prennent pas la même vitesse et ne montent pas aussi haut que les garçons – elles sont moins lourdes, donc vont moins vite. Greg Guénet regrette et craint un peu le manque «de relève dans le free-style», en France. D'après lui, ce sport ne fait «pas partie de la culture montagnarde», où on manque de structures à disposition des clubs de sport. «La fédé fait ce qu'elle peut, mais on aurait besoin de former des entraîneurs», concède-t-il. «Ouvrir des sections dans des clubs où il n'y en a pas». Selon lui, le ski alpin a peur de cette concurrence, à tort. Le père de Guénet a été le premier français à créer une équipe de freestyle dans les années soixante-dix. Il lui a toujours dit, à propos de ce sport : «n'attends rien car tu n'auras rien». Un conseil que Greg applique à la lettre.

(1) Photo: https://www.facebook.com/greg.guenet