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Libération
Billet

Il est des moments de la vie où être alpiniste peut suffire au bonheur...

Une saison en hiverdossier
Au lendemain du sauvetage d'Élisabeth Revol, une chronique de Cédric Sapin-Defour publiée sur le site Alpine Mag.
Selfie d'Elisabeth Revol.
publié le 6 février 2018 à 10h02

Il est un plaisir supérieur, celui de prendre son café au comptoir d’un bistrot inconnu.

On s’assoit en observateur du monde, notre anonymat nous protège, les habitués se fichent de notre avis, aucun ne le réclame. Alors on se tait. Sauf à ce que nos bornes soient dépassées.

Le type avait la tête à dire ce qu’il a dit. La morphopsychologie est une science fondamentale. Sa vérité, maintes fois assénée, était qu’on aurait dû la laisser là-bas, l’autre. L’autre, c’est Élisabeth Revol, une himalayiste revenue de nulle part. Là-bas, c’est le Nanga Parbat mais le type n’avait pas jugé utile de s’en souvenir ; il avait retenu la montagne tueuse, c’est plus efficace. Que ce soit une femme ne semblait pas lui déplaire. Que Pakistan sonne comme Afghanistan semblait fluidifier sa pensée. Alors mon silence s’est tu.

Je lui demande quelle était l'autre solution. La laisser mourir donc ? Je tente de lui expliquer que l'himalayisme est un truc qui dit la binarité, la vie ou la mort, la mort ou la vie, que les matchs nuls ou les bonnes défaites n'y existent pas et qu'il nous est interdit, à lui comme à moi, en Himalaya ou au coin de la rue, de ne pas tout tenter pour sauver une vie. Vain. Il me dit qu'elle n'a pas fait grand chose, elle, l'autre, pour son compagnon de cordée, Mackiewicz ou un nom comme ça, je lui fais remarquer que tiens…ça y est, le sort des alpinistes soudainement l'intéresse. Mais tout ce fric dépensé clame-t-il ! Je songe à parler de Zidane ou d'un autre mais c'est m'aventurer sur son terrain, à domicile qui plus est. Je songe à défendre le crowdfunding, du virtuel qui sauve des peaux mais c'est du pain béni pour le réac qu'il joue à merveille. Alors je préfère lui raconter ce souffle de solidarité, l'argent récolté, oui, puisqu'il en faut et le courage absolu de ses sauveteurs. Qu'il jette un œil sur les images de Denis Urubko serait une riche idée, «nice to see you Élisabeth!» s'exclame-t-il de bonheur et de naturel lorsqu'il la retrouve. Nice to see you, jamais cette formule automatique n'a eu autant de sens et de puissance émotionnelle.

Il me dit que c’est une connerie, ça me flatte et qu’elle n’avait qu’à s’en sortir toute seule puisque l’Himalaya est son choix, à elle. Plaisir personnel et soutien collectif, à ses yeux, il y a comme quelque chose qui cloche...