Menu
Libération
Massif des Ecrins

Requiem pour un glacier pris au piège par le climat

Une saison en hiverdossier
L’effondrement de tours rocheuses en août indique que la fonte du glacier Carré est à l’œuvre.
La face sud de la Meije, fin juillet. Au centre le Grand Pic et le glacier Carré, juste avant l'éboulement et la canicule de cet été 2018 qui l'ont considérablement réduit. (Dessin Jean-Marc Rochette)
par François Carrel, Grenoble, de notre correspondant.
publié le 16 novembre 2018 à 19h06

Huit jours après ce reportage, le 7 août, deux grosses tours rocheuses se sont effondrées sur le bord supérieur du glacier Carré, balayant d'une énorme avalanche de blocs de pierre et de neige une partie de la voie normale d'ascension de la Meije. Deux alpinistes ont été blessés et ont dû être évacués. Les géologues experts des mouvements de la montagne n'ont pas de doute, c'est bien le réchauffement qui a provoqué la dégradation du pergélisol (ou permafrost) présent derrière les tours et qui les maintenait en place.

Sécheresse. Depuis, la zone instable est restée active : la voie d'ascension historique est quotidiennement touchée par des chutes de blocs. La fonte totale de la glace mise au jour par l'effondrement de tours prendra des années, les éboulements vont donc se poursuivre. Depuis le 7 août, le Grand Pic de la Meije n'a été atteint que deux fois, par les arêtes, et rien ne dit que la voie normale sera praticable la saison prochaine. Un manque à gagner important pour les guides locaux, qui réfléchissent à tracer un nouvel itinéraire pour traverser la Meije, en évitant la zone instable, voire la totalité de l'arête du Promontoire devenue très périlleuse.

Cet automne, travaillé par la sécheresse, mais aussi par les chaleurs intenses et exceptionnelles en altitude de ces derniers mois, le glacier Carré a peu à peu pris un aspect sinistre, totalement inédit : soumis à une fonte accélérée, «léprosé» par l'éboulement massif, devenu gris foncé en surface, il a diminué du tiers au moins de sa superficie. «Le glacier Carré agonise. Dans deux ou trois ans, à ce rythme, il aura disparu ; la Meije se sera transformée en un tas de cailloux. Les oiseaux et les insectes disparaissent, les glaciers aussi, l'enchantement du monde fond comme neige au soleil», se désespère Jean-Marc Rochette, fervent écologiste.

Dangerosité. La traversée de la Meije historique, telle que nous l'avons parcourue via la muraille Castelnau et avec la spectaculaire remontée du glacier Carré, ne se fera peut-être plus jamais… L'agonie du glacier Carré est en passe de devenir l'un des symboles d'un réchauffement climatique dont les effets sont d'ores et déjà parfaitement présents en haute montagne : multiplication des éboulements, et par conséquence dangerosité inédite pour les alpinistes, disparition pure et simple de nombreux petits glaciers et recul accéléré des géants, comme la mer de Glace.