A quoi ressemblera la station du futur ? «C'est un sujet qu'on ne décrète pas, lance la maire de Villard-de-Lans et vice-présidente chargée du tourisme du département de l'Isère, Chantal Carlioz, le 25 septembre à Paris devant un parterre d'élus et de professionnels de la montagne. En fait, elle dépendra d'abord du climat…»
Imaginer la montagne à l’horizon 2030. Telle était la mission du groupe d’experts mandaté par le département de l’Isère. Une réflexion au long cours devant tenir compte des mutations de l’économie touristique, des changements climatiques, technologiques, sociétaux… Au bout du compte, un épais document contenant 130 préconisations regroupées dans cinq grands chapitres.
On y trouve «la station de loisir» pour «le plaisir de se retrouver en famille et entre amis». Vient ensuite celle de «l'extrême», dédiée aux sportifs, «où la pratique sportive est intense et l'envie de dépasser ses limites inépuisables…» Puis la «connectée aux nouvelles mobilités» et aux hébergements «multi-usages». Enfin, la «station douce», qui privilégie un mode de vie «responsable et harmonieux», en «totale reconnexion avec la nature dans des espaces naturels préservés». Pour finir, la «pleine énergie», celle dont on ressort les accus rechargés : un «écrin thérapeutique» dédié au repos et au temps pour soi.
Rajeunissement
Gros enjeu martelé par l'étude : la station de demain vivra «à l'année», et ne sera en aucun cas une aire de jeux à réurbaniser. Un «changement de cap» par rapport à ce qui existe souvent aujourd'hui, «pleinement assumé» pour l'élue : zéro pollution, stop aux voitures et exit le béton.
Enfin, l'usager devrait être associé à la démarche : il pourra «tester» le matériel, mais aussi la station dans son ensemble, dire ce qu'il en pense, «pour que l'entreprise [chargée des constructions ou de la réhabilitation] en tienne compte», énonce Chantal Carlioz.
Cette vision, Benoît Laval, le vice-président d'Outdoor, filiale du groupe Rossignol, semble la partager. Prenons sa marque. Il y a trois ans, elle misait tout sur l'hiver. Aujourd'hui, un tiers de son activité concerne directement l'été. D'où son idée d'additionner les deux saisons, pour avoir un «village ouvert et vivant», et cela toute l'année !
Le directeur général de Cimalpes (un groupe immobilier implanté sur cinq stations de la Tarentaise), Benjamin Berger, rappelle pourtant que les stations investissent des centaines de milliers d'euros dans l'enneigement et l'entretien des pistes, et que le but principal reste bien de skier avec «un faible manteau neigeux». «Ce qui n'était pas le cas il y a quelques années, il fallait beaucoup plus de neige», observe-t-il. Bref, l'investisseur en est persuadé : il faut être «réaliste» et «garder en tête que l'hiver restera la tête de proue». Avec un bémol : la saison blanche sera certes le temps fort, mais pour quelles activités ?
Aujourd'hui, la clientèle qui ne fréquente pas les pistes représente environ 30 % des usagers de la montagne. Il faut trouver de quoi occuper ces vacanciers et les loger. Les destinations alpines ne sont «pas extensibles». Même s'il faut seulement deux ans pour vendre un programme immobilier neuf, il y a surtout un urgent besoin de rénovation. Le parc, vieillissant, devra donc être soumis à une importante cure de rajeunissement. Au menu de ce bain de jouvence, bardage en bois, réfection des toits, décoration «typique». Pour exemple, Méribel (Savoie) engage cet hiver la «réhab» de quinze appartements, et Courchevel (Savoie) de trente. Val-d'Isère (Savoie) et Megève (Haute-Savoie) suivront le même mouvement, pour trente appartements également. Du côté d'Avoriaz (Haute-Savoie), les grues et les bétonneuses sont déjà en action.
Quid de l'impact sur l'environnement de ces équipements à venir, de la construction de nouvelles remontées ou de l'installation de canons à neige ? Pierre Mériaux, conseiller municipal délégué au tourisme et à la montagne de Grenoble (EE-LV), insiste sur la priorité : la «diversification» des stations, quand le thermomètre affiche 28 degrés à Grenoble en octobre…
Endettement
«On peut encore compter sur la neige dans les dix ans à venir, dit Pierre Mériaux, mais doit-on continuer ce modèle à bout de souffle ?» Lui prédit la disparition des stations de moyenne altitude. Il voit dans la course aux enneigeurs une «illusion technique» qui «bouffe la ressource en eau, consomme de l'énergie et artificialise la nature». Mériaux insiste : ces «canons» (terme qu'exècrent les professionnels du secteur), ce sont des kilomètres de réseaux enterrés pour lesquels il faut «défoncer la montagne à coups de pelleteuse».
Par ailleurs, cet équipement à outrance favorise l'endettement des communes, qui finissent par augmenter le prix des forfaits, décourageant par là même la clientèle modeste. Et de prendre l'exemple de Saint-Pierre-de-Chartreuse, en filant la métaphore guerrière : «Une commune qui s'est lancée dans une course à l'armement en remontées et autres canons. Résultat : ils sont désormais sous tutelle et plongent.»
La solution ? Orienter l'argent public vers un autre modèle «plus naturel», qui répondrait à la demande de «ressourcement» des urbains : trail, course à pied, balade en raquette. Bref, la «station douce» citée dans le rapport répondrait au besoin «d'air pur en été avec la possibilité de faire autre chose que du ski en hiver», comme le note Benjamin Berger, de Cimalpes. C'est pourquoi, explique-t-il, Courchevel s'est doté d'une piscine avec trois bassins de nage, d'un spa ; on peut y pratiquer le canyoning artificiel et même le surf… une gageure en montagne.
Dans la même veine «alternative», le ski de randonnée explose dans les Alpes. Les touristes d'aujourd'hui ne passent plus leurs journées à dévaler les pentes (ils font en moyenne quatre heures de glisse). Fat bikes (ces vélos à pneus surdimensionnés permettant de rouler dans la neige), yoga, découverte de la faune ou visites des fermes locales doivent compléter l'offre hivernale… «Les encadrants ont perdu pour la plupart cette culture montagne, il faut reconstruire un tissu de passeurs», conclut l'élu vert Pierre Mériaux, rejoignant sur ce point les préconisations du rapport sur la station douce. Une piste pour faire se croiser écologistes et professionnels de la montagne ?