Suite à notre article titré "Les guides remettent de l'ordre dans leur métier" paru le 11 décembre 2018 sur le site de Libération, Christian Jacquier, président du SNGM, nous a fait parvenir ce rectificatif:
«Un plan d'action, les Actes de Saint Martin, engage une transformation des pratiques professionnelles des guides de montagne en matière de gestion du risque. Il a été adopté à la quasi unanimité par le Comité directeur du SNGM élargie à la conférence des présidents de bureaux et compagnies. Puis il a été approuvé par les guides en Assemblée Générale à 82%, suite aux assises de la sécurité en Montagne à Nice le 22 novembre dernier. Il s'articule autour de 5 dimensions, dont une centrée autour de l'autorégulation. Lors des assises, qui était un moment de débat avec des acteurs extérieurs à la profession, l'idée de créer un ordre professionnel a été évoqué, notamment par Emmanuelle Mignon secrétaire d'Etat. La conclusion est que cela n'est pas très adapté à notre profession et que nos outils existants, comme notre commission de déontologie, sont suffisants pour veiller à l'application de nos règles internes. A ce jour, aucun Ordre Professionnel pour le métier de Guides n'est envisagé.»
Nous en prenons acte et republions notre article en tenant compte de ces précisions. D.A.
Comme les médecins, les journalistes ou les avocats… Les guides vont-il créer leur ordre? La réponse est clairement non, même si le sujet a été évoqué lors de l'assemblée générale qui s'est tenue à la fin du mois de novembre à Nice. Pour Christian Jacquier, président du syndicat national des guides de montagne (SNGM), «on voulait se fixer des règles en interne, ne pas attendre qu'elles soient imposées. On se posait depuis longtemps la question de créer un ordre professionnel. En Autriche et en Italie, cela existe déjà».
Des règles et normes? N'est-ce pas contradictoire avec l'exercice d'une profession connue pour sa liberté et son autonomie? Réponse du président: «les guides sont indépendants pour certaines choses… Pour l'assurance de groupe, on est tous solidaires. Un guide qui ne respecte pas les bonnes pratiques met en cause tout le collectif. Il n'y a pas de liberté totale, les bureaux locaux prennent des décisions, par exemple, pas de course ici ou là… Nous voulons promouvoir les bonnes pratiques».
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Au coeur des réflexions: les accidents. Entre 2008 et 2017, 104 accidents mortels ont eu lieu dans les montagnes françaises (sur un total de 145 000 journées guide) quand, sur la même période, on en comptabilise… 20 (pour 130000 journées guide en Suisse). Trop de morts. C'est une des raisons pour lesquelles ces assises de la sécurité en montagne ont eu lieu. «Il y a dix ans, les guides suisses avaient la même accidentologie. Ils ont réagi, cela leur a servi, ils ont fait un plan d'action, avec des formations. Aujourd'hui, nous travaillons avec les guides étrangers pour échanger sur les bonnes pratiques. Avec une finalité: augmenter notre degré de fiabilité». et pour cela travailler et s'exprimer «sans tabou». Explication de texte en quatre points.
© 2018 Guide de Haute montagne
1) Moins de décès, l'objectif prioritaire
La première table ronde de ces assises avait pour thème: «trop de morts, tous responsables». Ainsi, le marin et architecte Marc Givry a-t-il osé – même si «comparaison n'est pas raison»- établir un parallèle avec la mer, à l'heure où la navigation de plaisance affiche des chiffres proches du zéro mort.
Le procureur de Gap, Raphaël Balland, a lancé un appel aux guides, les conjurant de ne pas céder à la «facilité de la fatalité». La formule est jolie et a permis à l'ancien président du syndicat des guides de rebondir sur un : «personne n'est à l'abri d'un accident. Les experts eux-mêmes ne sont pas protégés». Le procureur Balland s'est ensuite tourné vers l'exemple de la prévention routière, qui a réussi à faire diminuer l'accidentologie, argumentant son propos autour de deux principes : «il n'y a pas de prévention sans répression». Et de marteler son credo: on ne peut atteindre de résultats sans «s'appuyer sur des règles».
2) Le réchauffement, un danger supplémentaire
Nouveau paramètre en montagne: le réchauffement climatique. Le guide David Ravanel raconte ainsi comment cet été fut particulièrement gratiné, avec des chutes de pierre qui n'en finissaient pas, des guides forcés au chômage technique, et des itinéraires, comme celui du couloir du Goûter, totalement impraticables (lire aussi l'article de notre correspondant François Carrel sur la fonte du glacier Carré). «Beaucoup de courses ne sont plus faisables, l'été principalement. Mais l'hiver, le fait qu'il y ait globalement moins de neige est aussi source de danger car l'activité va se concentrer à des moments précis et la saison sera moins étalée», se plaint David Ravanel.
Ludovic Ravanel, géographe, chercheur à l'Université de Savoie, s'est étonné qu'il n'y ait pas eu «davantage d'accidents cet été, alors qu'on a compté plus de 800 écroulements». Selon lui, le réchauffement est particulièrement à l'œuvre dans les zones de montagne, deux à trois fois plus rapide qu'ailleurs sur la planète. Martin Beniston, Vice-président du Giec, a ainsi rappelé qu'en 2000, Genève a affiché des données climatiques identiques à celles de Toulouse… il y a cinquante ans… Il est hautement probable qu'en 2100, les glaciers auront perdu 80% de leur surface…
Les tailles des moraines (empilements de blocs, galets, cailloux et farine glaciaire véhiculés par un glacier et qui se retrouve à ses abords, ndlr) vont s'élever. Le terrain risque de gagner en instabilité, car, de fait, les glaciers seront moins épais. Par conséquent, des surfaces rocheuses supplémentaires vont faire leur apparition au pied des parois. L'accès aux voies d'escalade sera rendu plus difficile, voire impossible. Les surfaces neigeuses vont devenir de la glace et les zones glacées vont elles-mêmes disparaître. Les arêtes de neige vont présenter des profils plus aigus, les pentes se creuser en angles plus raides… N'en jetez plus… Le réchauffement en profondeur est chiffré à +0,17°C par an, soit 5 fois plus rapide que le réchauffement de l'air. Ravanel encore : «En août 2017, on a enregistré le plus gros écroulement survenu dans les Alpes depuis 1717 avec 3,1 millions de mètres cubes dans le canton des Grisons, près du village de Bondo, en Suisse. Huit personnes ont été tuées».
Samuel Morin, de Météo France, note la multiplication d'avalanches de neige humide, et ceci même en plein hiver, alors qu'elles étaient, jusque-là, circonscrites au printemps. Voilà, conclut Ludovic Ravanel, même si les études manquent, «les effets du réchauffement ont certainement un lien avec les accidents de ces derniers mois».
3) Raconter les accidents
L'accident relève encore du tabou, l'exploit sportif est toujours consigné au premier plan… «N'est-il pas temps que votre profession remette en cause la liberté complète de l'activité en montagne et fixe une forme de réglementation?», a demandé Raphaël Balland. Alain Duclos, expert auprès des tribunaux et ancien guide a expliqué son accident en 1994. «Je n'ai pas raconté, j'ai été condamné, on est resté sur des rumeurs et aucune leçon n'a été tirée» raconte-t-il. A Nice, un plan d'action a été adopté. Il s'agit de développer une «culture du retour d'expérience». Mais il faudra aussi partager en temps réel des informations, massif par massif. Les guides ont décidé de jeter les bases d'une autorégulation du métier, via des messages d'alerte ou des outils de prise de décision.
Parmi les nouveaux moyens mis en œuvre Christian Jacquier a cité une nouvelle application: «Depuis un mois, tous les guides peuvent reporter un événement indésirable sur leur smartphone. Cet événement rejoint une base de données, de manière anonyme ou pas». Le syndicat prévoit aussi un jour de formation continue par an, journée, à terme, obligatoire. Le recours à des formateurs venus de secteurs variés capables de parler de la gestion des risques dans leurs métiers (médical, aéronautique, industrie) ou d'autres thèmes comme la relation aux clients a également été envisagé.
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Mais toutes ces solutions seraient bien vaines si on oubliait de faire sa propre autocritique. Une nécessité partagée par les animateurs de la table ronde intitulée: «mieux autoréguler la profession». Un ancien commandant du PGHM (Peloton de gendarmerie de haute montagne) de Chamonix vint ainsi rappeler que «30% des accidents sont consécutifs à des manœuvres non conformes aux bonnes pratiques». Selon lui, le guide évolue dans un univers si compliqué qu'il faut avant tout «fiabiliser le processus de décision».
Une opération qui passe par des «briefings et débriefings», mais aussi de la communication interne et du débat. Le sociologue Christian Morel, spécialiste de la gestion des risques, souligna alors que si elle vient de la base, soit des guides eux-mêmes, l'autorégulation aura toutes les chances d'être adaptée. Mais pour cela, elle doit reposer sur des «solutions simples et innovantes» et doit être menée avec «humilité et courage». Le principal outil de cette mesure, c'est la collecte des «REX», les retours d'expérience. Pragmatique, l'assureur Etienne Pelce conclura ainsi : «décris ton risque et comment tu le gères, l'assureur lui donnera un prix»… On ne peut être plus clair.
4) Renoncer, une solution
Mais toutes ces mesures ne seraient que belles paroles si on oubliait la pression financière qui pèse sur les guides et peut dans certains cas, obérer la prise de décision. Le dernier volet de cette journée a abordé la nécessaire évolution des parcours de formation. L'Ensa souhaite ainsi continuer à développer la «culture du renoncement» comme une compétence professionnelle essentielle. On est passé à une autre ère où la performance n'est plus la valeur essentielle, mais les capacités d'analyse et de communication sont devenues prépondérantes. Les futurs aspirants guides ne sont plus tenus de présenter des courses difficiles et engagées à leur entrée à l'Ensa; et lors de la formation initiale, une semaine consacrée à l'assistance psychologique, la verbalisation et la communication a été mise en place. Nicolas Raynaud, président de la fédération française des clubs alpins et de montagne prévoit une année 2019 axée sur la sécurité, et compte également sur la féminisation de la pratique pour apporter un regard différent. «Un bon professionnel est d'abord un bon montagnard», conclut-il, «cela ne s'enseigne pas qu'à l'Ensa».