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Festival

«La montagne permet une réflexion sur soi»

Une saison en hiverdossier
La «Summer edition» de Montagne en scène débute son tour d'Europe. Présentation des films au programme.
(Liv along the way)
publié le 9 avril 2019 à 15h13
(mis à jour le 9 avril 2019 à 15h26)

Ils marchent, s'arrêtent. Et puis ils grimpent. Et redescendent. A ski. Ou pas. Voilà revenus les acteurs de Montagne en scène, pour une session estivale. C'est d'abord cette joyeuse équipe de Belges, Français et Argentins qui ont pour nom Jean-Louis Wertz, Nicolas Favresse, Carlitos Molina et Mathieu Maynadier, dit «Mémé». Ceux-là ne laissent jamais leur sens de l'humour au pied de la paroi. C'est la force de leur film, «The Pathan Project», 40 minutes, de Guillaume Broust et Jean-Louis Werth, qui voit ces aventuriers partis au fin fond du Pakistan à la rencontre d'une montagne jamais grimpée se mettre à chanter sur la face, accompagnés d'une simple guitare sèche. Ne jamais se départir d'un certain sens de l'humour.

Avec eux, que la montagne est drôle! Et pourtant, elle reste éminemment dangereuse. Soudain, un bloc de pierre se détache. Ce film jusque-là bien gai devient une tragédie en route, avec «Mémé» en pièces. Ils doivent réduire une fracture à plus de six mille mètres. A cette hauteur-là, les secours ne peuvent plus voler. Le film n'en fait pas des caisses sur cet épisode-là. On les en remercie, même si l'épisode apporte touche de piment et intensité un rien dramatique à l'exploit. «L'accident m'a secoué», explique après coup Mémé, mais j'avais conscience des risques et cela n'a pas changé ma motivation. Par contre, je me suis cassé deux vertèbres et la rééducation fut plus longue que ce que j'avais imaginé. Comme je ne suis pas totalement rétabli, je ne suis pas reparti en expédition» (1).

Mathieu Maynadier après  l'accident. Crédit: Jean-Louis Wertz

Mais revenons à l'humour. Sur leur route, les compères ont embarqué Jean-Louis, photographe et drôle de clown toujours à la ramasse, qui joue les souffre-douleur à merveille, et sert, à son insu, de mascotte à ce petit groupe attachant. Même l'accident est, si l'on peut dire, «traité à la légère, avec images d'hôpital en insert. «Mémé», lui-même s'explique assez clairement sur l'événement. «J'ai vécu de nombreux accidents en montagne» dit-il. «Pour l'instant, je sais pourquoi j'y vais, je sais ce que j'y trouve donc je ne remets pas en question mes pratiques. Par contre, cela fait une bonne piqûre de rappel. J'ai fait des erreurs. A force d'être tout le temps en montagne, tu prends un peu confiance. Des pierres tombent sans cesse à côté de toi, tu as l'impression d'être immortel, et là, ça te remet les pieds sur terre». Plus loin, il enfoncera le clou : «la montagne, ça permet une réflexion sur soi qui est directe». Bien vu.

Drus et Nant Blanc

«Entre les lignes», de Yucca films, est de facture plus classique. Vivian Bruchez est un skieur de pente raide, dans la lignée des légendes : Sylvain Saudan, Pierre Tardivel ou encore Jean-Marc Boivin. Dans ce documentaire de 26 minutes, il s'attaque aux monstres que sont les Drus ou le Nant Blanc, skiant parfois carrément le rocher, descendant dans des couloirs où le virage est quasi impossible, alors il faut sauter, et puis surtout, passer toujours, partout, là où la chute est proscrite.

Les copains d'«Entre les lignes», disent qu'ils vont «skier un symbole», et qu'en descendant une pente jamais réalisée avant, «faire une signature». On les suit pas à pas et on admire leur science au moment de choisir le tracé. Ecoutons donc Vivian. «Ce qui m'attire, c'est d'aller chercher des lignes, de nouvelles tendances, de suivre mon chemin et pas celui des copains. Je pense des lignes, je rêve des lignes. Personne ne pourra nous enlever notre liberté. Ces dernières années, j'ai été totalement attiré par certaines descentes. Le Nant Blanc, par exemple, c'était un passage dans ma vie de skieur dont j'avais besoin. Ce n'est pas de l'obstination mais de l'attirance, j'avais envie de vivre quelque chose là-bas et non d'y prouver quoi que ce soit». On voit Vivian se servir de la corde, grimper pour mieux descendre ensuite, choisir avec soin ses itinéraires, et surtout, avoir de la jugeote au moment où il faut s'exposer durement.

«Aujourd'hui, si c'est exposé, explique Vivian, je préfère mettre la corde et minimiser les risques. Je ne raisonnais pas de la même manière il y a cinq ans. Lorsqu'on a réalisé le film "T'es pas bien là", j'ai compris que je n'avais pas ce sentiment de concurrence qui peut pousser une personne à prendre des risques. Je skiais avec Pierre Tardivel. A un moment donné, on se retrouve face à une barre rocheuse, moi je saute et lui, il décide de désescalader. J'étais super-admiratif de sa décision, car c'est aussi grâce à ces choix que Pierre Tardivel a cette longue carrière. Il se connaît et il connaît ses limites.» On ne saurait mieux dire.

Cours, Damien, cours!

Avec «Underdog», qui signifie «Outsider», on perd de vue grimpette et ski, pour suivre l'histoire d'un britannique un peu fêlé, nommé Damian Hall, qui se lance dans le défi de cette course légendaire qu'est l'ultra-trail du Mont Blanc. Au menu: 160 kilomètres de course en montée -10 000 mètres de dénivellé- et de descente, autour du plus haut sommet européen. On voit ainsi Damian se préparer, avaler des kilomètres, sacrifier sa vie de famille, l'anniversaire de son père, le mariage de son ami… Il court, il court et on le voit durant l'épreuve, arracher une à une de petites victoires. Il dépasse un concurrent, puis un autre… et finalement, on arrive presque plus essoufflé que lui.

Ellie et Matt Green, réalisateurs du film (21 minutes) ont suivi la progression de Damian, qui affronte des coureurs affûtés, mais ne laisse jamais sa part au chien. Son objectif, finir dans les dix premiers, est largement atteint. On le découvre franchissant la ligne, tellement heureux d’avoir accompli son dessein, dans des paysages majestueux, où les participants repoussent sans cesse leurs limites, et sont accueillis – au départ comme à l’arrivée- par une foule immense et capable d’apprécier à sa juste mesure les efforts fournis par ces hommes courageux.

24 minutes chrono

Liv Sansoz nourrissait un projet audacieux : réaliser l'ascension de 82 sommets de plus de 4000 mètres dans les Alpes, en conjuguant à la fois ski, alpinisme, escalade et parapente. Et pour nous spectateurs, la prouesse de voir cette série d'exploits en… à peine 24 minutes. C'est dire comment il est malaisé de mesurer ces performances de la Française qui s'enchaînent un peu trop vite, sur la pellicule. Liv raconte après tout qu'une des difficultés majeures de ces escalades a consisté dans la gestion de son sommeil. «C'était pesant de dormir de moins en moins et surtout de moins en moins bien» confie ainsi Liv Sansoz. «Liv along the way», réalisé par Switchback Entertainment, en nous permettant de découvrir des panoramas incroyables, nous enseigne ainsi, encore une fois, que la montagne est affaire d'abnégation. Liv se blesse et se reblesse, et elle repart à chaque fois.

«La difficulté de ce projet des 4000 mètres résidait plus dans sa durée que dans la performance. Or, en montagne, et surtout dans les longs projets, il y a la théorie et la réalité. Mentalement, il faut être flexible, réussir à s'adapter et à prendre les bonnes décisions, au bon moment. Finalement, l'une des choses les plus dures à garder, c'est l'envie et la motivation, car le doute peut souvent s'immiscer».

Contorsions

Adam Ondra est un extraterrestre. Le suivre dans «Age of Ondra» (réalisé par Big Uproductions, 43 minutes) ne permet pas tout à fait de trouver la clé du personnage. Mais, dès les premières images de cet enfant qu'on voit grimper et se mettre à trépigner et pleurer lorsqu'il tombe, on sait qu'on a affaire à un phénomène. Et puis, lorsqu'on découvre cette longue tige chevelue à la tâche sur un bloc qu'il surnommera «Silence» (en Norvège), on peut mesurer la dose d'humour du natif tchèque : chaque prise, chaque mouvement est ponctué d'ahanements forts et rauques, montrant l'effort fourni et la qualité du bonhomme.

Les contorsions qu'il produit, son habileté à escalader la tête à l'envers, faire passer les pieds quand les mains ne peuvent pas, bref, toute cette machinerie improbable donnent un air de jamais vu à l'affaire. «La trajectoire du meilleur grimpeur du monde, nous raconte le pitch du film, capable d'enchaîner le Dawn Wall, paroi particulièrement gratinée du Yosémite, d'ouvrir le premier 9 C de l'histoire, et de devenir champion du monde».

Et puis, comme si cela ne suffisait pas, le bon Adam se colle des challenges improbables, comme ces escalades «flash» (Réussir une ascension en flash ou flasher une voie en escalade désigne le fait de réussir une ascension à la première tentative après avoir eu des informations sur cette voie).

Adam a commencé à grimper à six ans. Depuis, il a gravi peu à peu les échelons, effectuant ses premières réalisations dans le huitième et neuvième degré. Pour l'alpiniste espagnol Dani Andrada, «ce jeune mutant semble tout simplement venu d'une autre planète». Le britannique Steve McClure dit qu'«Adam est un niveau au-dessus du sommet de l'arbre, et deux niveaux au-dessus des héros en général!». Quant au spécialiste de l'escalade de bloc Daniel Woods, il estime, lui, qu'«Adam Ondra est un monstre, et il est le prochain niveau. Il est l'une de mes plus grandes inspirations en escalade». Cependant, Adam Ondra reste très humble vis-à-vis de cette reconnaissance. Il pense sincèrement que plusieurs grimpeurs sont meilleurs que lui. La marque des grands.

(1) La plupart des longues citations sont tirées du Magazine «Summer Edition de Montagne en scène».