Ils ont gravi l’Everest le jour du sacre. Au moment où la reine d’Angleterre Elizabeth II reçoit sa couronne, à des milliers de kilomètres de Westminster, Edmund Hillary et Tensing Norgay atteignent enfin le sommet au terme d’une incroyable épopée. Nous sommes le 2 juin 1953.
Un timing parfait que l’on doit à une armée d’anonymes, les «coursiers» népalais chargés de couvrir la distance entre le pied de l’Everest et Katmandou pour assurer la liaison entre le camp de base et le reste du monde. Le journaliste Jan Morris, qui faisait partie de l’expédition, leur rend un bel hommage à travers ce court et merveilleux récit que nous fait découvrir l’éditrice Catherine Destivelle.
Car l'affaire était hautement politique. «Le principal problème n'était pas de trouver des informations fiables mais de les acheminer jusqu'à Londres», écrit l'auteur. Il fallait également «coder» les messages pour que personne ne s'en empare avant qu'ils n'arrivent à destination, au risque d'éventer la glorieuse nouvelle.
Nous voici donc plongés dans le quotidien de ces hommes témoins d’une des plus grandes aventures de l’histoire de l’alpinisme ; et le livre de détailler les marches d’approche vers la montagne, la période d’acclimatation, la montée au camp de base, la première reconnaissance de la cascade de glace…
4 300 mètres de dénivelé
Vers la mi-mai, écrit Morris, «mes solides messagers faisaient le parcours retour jusqu'à Katmandou en un temps record, incités par un taux de rémunération qui dépendait de leurs performances». Il ajoute laconique : «Si le coursier mettait huit jours pour le voyage, il percevait 10 livres, pas plus… S'il y parvenait en six jours, il gagnait la fabuleuse somme de 20 livres.» Et de conclure, très british : «Les coursiers se satisfaisaient de leurs gains, mais je suis sûr qu'ils couraient également aussi vite par sens de la loyauté.»
Plus loin, Morris détaille : «Deux d'entre eux ont réellement parcouru le trajet en cinq jours, une prouesse ahurissante, une moyenne de 55 kilomètres par jour, comprenant la traversée de trois chaînes montagneuses à plus de 3 000 mètres d'altitude, et un dénivelé négatif de 4 300 mètres pour passer de 5 500 à 1 200 mètres.» Une paille. «Leurs visages étaient noueux et rieurs, ils se déplaçaient […] comme les personnages d'un conte de fées.»
Après des semaines d'allers et retours, après bien des péripéties, c'est l'heure de l'ultime message qui parviendra à la reine à l'heure dite : «Sommet de l'Everest gravi par Hillary et Tensing.» Mission accomplie au service de sa gracieuse majesté. God save the Queen et l'Angleterre.
Le nom du coursier qui a acheminé la bonne nouvelle ne fut jamais connu…

par Jan Morris,
, collection de Catherine Destivelle. 50 pp., 14,90 euros.