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Autobiographie

«Au-delà des sommets», confessions d’un ultraterrestre

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L’alpiniste Kílian Jornet lève le voile sur ses questionnements dans une autobiographie.
Kílian Jornet lors de l’ultra-trail du Mont-Blanc, en août 2018. (Photo Jeff Pachoud. AFP)
publié le 20 novembre 2020 à 17h11

Kílian Jornet est un drôle d’oiseau. Le Catalan enchaîne les courses spectaculaires de ski-alpinisme, aligne des records de grimpe sur toutes les montagnes du monde (1), s’entraîne comme un fou, exerce son activité de façon «intense» et, parfois, se fait peur, comme il le raconte dans une autobiographie parue ce mois-ci chez Arthaud.

Inconscient, le coureur multimédaillé que l'on surnomme «l'ultraterrestre» ? «J'essaie d'être le plus en sécurité possible, le risque zéro n'existe pas en montagne, raconte le grimpeur à Libération. La haute montagne, lorsqu'on la pratique depuis longtemps, provoque des accidents. On perd des amis, on doit l'accepter, c'est toujours douloureux… Quand l'accident arrive avec un autre grimpeur, on se demande pourquoi c'est lui et pas soi, on essaie ensuite de voir quelle mauvaise décision a été prise.»

Après vient le temps du deuil, mais on ne parvient jamais à «banaliser» ce qui s'est passé. Une épreuve toujours difficile, même s'il veut croire que c'est à «chaque fois une façon d'apprendre davantage, de se connaître mieux soi-même» et d'éviter de nouvelles erreurs. L'alpiniste est un garçon qui ne cesse de s'interroger. A tel point qu'il a conscience de s'être laissé emporter par son public, ceux qui le soutiennent, les médias, la Toile, ces défis qui attirent les gros titres et les sponsors… Dans cette course à la performance, cette «dynamique de croissance» où on demande «toujours de faire plus», et où, finalement, on oublie son «développement intérieur».

Il faut, selon l'athlète, trouver le bon équilibre, entre ses propres émotions, son ressenti et la popularité provoquée par ses exploits. «Quand je me mets en danger, explique l'alpiniste, c'est d'une façon réfléchie.» Kílian Jornet établit cette distinction entre l'entraînement et la compétition. Le premier, dit-il, montre qu'on aime le sport et sa pratique. Il égrène : avoir mal, connaître des bons et des mauvais jours, une certaine routine. «Je peux vivre sans compétition, mais pas être heureux sans pouvoir m'entraîner.»

Kílian Jornet a habité dix ans à Chamonix, mais il a voulu vivre dans un endroit plus connecté avec la nature, pour pouvoir passer une journée en montagne sans rencontrer personne. Avec sa compagne, la championne du monde suédoise de skyrunning Emelie Forsberg, il a opté pour une maison au cœur de la Norvège profonde, avec des moutons pour tondre sa pelouse…

Le Catalan affirme connaître beaucoup de montagnards qui sont des artistes ou des scientifiques, passionnés par ce milieu hostile qui permet l'exploit, par ces sommets qui incitent à la réflexion. Il raconte que plus il voit de personnes différentes, plus il se montre «apte au changement». Et de conclure sobrement : ce qui est important, au fond, c'est «d'accepter notre ignorance et savoir changer d'avis».

(1) Il détient plusieurs records de vitesse d'ascension à travers le monde, dont une double victoire de l'Everest sans assistance, ni corde, ni oxygène.

Cet article est issu de notre supplément «Une saison en hiver».