C'était il y a deux cents ans, le 19 mai 1798, précisément. Il est 6 heures du matin quand plus de 300 navires quittent la rade de Toulon. A bord, 38 000 soldats, 16 000 marins. Mais aussi des caisses remplies de plusieurs centaines d'ouvrages, scalpels, aérostats, lunettes astronomiques, papier à herbiers, caractères d'imprimerie" Et 154 hommes, jeunes en majorité, à peine sortis des grandes écoles récemment créées. Ils sont ingénieurs, astronomes, naturalistes, chimistes, littérateurs, orientalistes, médecins, pharmaciens" Les militaires les appellent tout simplement les «savants».
Où vont-ils? La plupart d'entre eux l'ignorent, mais leur ardeur juvénile n'a pas résisté à l'appel de Bonaparte et de leurs brillants aînés: le mathématicien Gaspard Monge, fondateur de l'Ecole polytechnique, le chimiste Claude Louis Berthollet, inventeur de l'eau de Javel et professeur à l'Ecole normale, le minéralogiste du Muséum Déodat de Dolomieu. Pour convaincre ses étudiants de tout quitter, celui qui a donné leur nom aux Dolomites aurait juste annoncé: «Je ne puis vous dire ni où nous allons, ni pour combien de temps, ni dans quel but, mais je puis vous attester seulement qu'il y a de la gloire et de l'instruction à acquérir.» 28 juin de la même année. A Malte, après des jours de navigation que le jeune naturaliste Geoffroy Saint-Hilaire (26 ans, seulement) sait égayer en improvisant un cours sur les habitudes du requin et de ses poissons pilotes suivi d'une dissection, Bonaparte se dévoi