«Avant j'étais caractériel, maintenant j'ai du caractère.» Un
sourire espiègle, quelques haussements d'épaules, il concède encore: «J'ai mis de l'eau dans mon vin, de la distance dans mon point de vue et" une part de hasard dans la science.» Avant, après, et même pendant, Bernard Raveau n'a cessé d'exercer avec enthousiasme et délectation son passe-temps favori: la mise au point de nouveaux matériaux à l'Institut des sciences de la matière et du rayonnement de Caen. L'événement qui délimite ainsi un «avant» et un «après» date de 1987. Cette année-là, il a failli être couronné par le Nobel, même s'il ne le reconnaît que du bout des lèvres. Le petit monde des spécialistes en physique des solides est quasi unanime: le Caennais aurait mérité de partager la récompense suprême. Mais le prix a été attribué à ses deux collègues, le Suisse Alex Müller et l'Allemand Georg Bednorz, des labos de recherche d'IBM de Zurich, pour avoir démontré l'extraordinaire propriété des feuillets d'oxyde de cuivre qui, à très basse température (-235 °C), devenaient supraconducteurs, c'est-à-dire capables de conduire de l'électricité sans chauffer, donc sans perte d'énergie (lire ci-dessous).
Lot de consolation. Seulement voilà, le fameux «sandwich» d'oxyde de cuivre porteur de tant d'espoirs avait été conçu et étudié à Caen près de cinq ans plut tôt. Dès l'annonce du résultat, le labo se retrouve au centre d'une petite tempête médiatique. Tous les chercheurs se souviennent des travaux de l'équipe norman