Ce vendredi d'octobre, comme tous les jours à 16 heures, on sert le
thé à l'Institut des hautes études scientifiques (IHES). Sis dans le village cossu de Bures-sur-Yvette, en vallée de Chevreuse, au sud de Paris. Macarons et congolais, tasses et tableau noir. Car ici, même pendant le rituel, on pense. Entré en coup de vent, Thibault Damour est en vive discussion avec un visiteur. Veste verte, cravate élégante et sourire charmeur, le physicien parle trous noirs et espace-temps. A peine arrivé, il soumet une colle à Micha Gromov. Lui, sandales hors saison sur chaussettes noires, chemise dépassant par-derrière, est l'antithèse vestimentaire de Damour. Sourcils broussailleux, élocution mitraillette, yeux bleus en agitation perpétuelle, le mathématicien résout le problème en trois gestes secs de la géométrie tactile. Et se rassied, tandis que Damour se dirige vers les tasses. De l'index droit, Gromov réduit au silence le journaliste. Du pouce et de l'index gauche, il se triture le front. Et murmure: «Is it correct?» Deux minutes passent. D'un bond, il se lève du fauteuil, prend Damour par le coude, saisit une craie" et trace des figures sur le tableau noir.
Le transfuge. «Gromov? Une légende.» Le directeur de l'institut, Jean-Pierre Bourguignon, est mathématicien, lui aussi. Mais plutôt du genre Polytechnique, d'où il vient. Costume et cravate stricts, coupe en brosse de colonel. Manières de manager. Il en faut, pour prendre soin de ses grosses têtes. Micha Gromov, par exemple. M