Certains ne savent toujours pas prononcer son nom sans l'associer
immédiatement à celui de «l'autre»: en 1964, puis en 1971, Jean-Claude Passeron a écrit en collaboration avec Pierre Bourdieu les Héritiers puis la Reproduction, deux ouvrages phares de l'époque, emblématiquement publiés aux éditions de Minuit. Un éclair dans le ciel pépère de la sociologie française. Le duo y décortique au scalpel le système éducatif français et son inégalité fondamentale. Leur travail d'enquête révèle de manière implacable comment «sont transmis mais aussi reconstitués, d'une génération à l'autre, les mécanismes les plus déterminants de toute régularité sociale». Raymond Aron qui a couvé leur entrée en sociologie s'émeut des retombées possiblement subversives de l'entreprise. On leur reproche en vrac un trop grand «sociologisme» dans l'approche des phénomènes culturels, une forme de supradéterminisme d'inspiration marxiste et bien sûr, en pratique, de faire désespérer de «l'école pour tous». Mais, pour le pire comme pour le meilleur, une génération en sera marquée. Droit au soupçon. Aujourd'hui, à 69 ans, Passeron se veut toujours sociologue mais a rompu depuis longtemps avec Bourdieu. Ils incarnaient brillamment la «sociologie du soupçon», une véritable stratégie de sape du système aux yeux de leurs détracteurs, «le goût des hypothèses socialement dérangeantes», selon lui. D'une certaine manière, il avoue y être demeuré fidèle et s'en expliquait en 1996 à l'historien Paul Veyne (1), ex-con