«C'est fou ce que j'ai eu comme coups de chance, quand j'y pense.»
Jean-Pierre Digard enlève ses lunettes, frotte ses yeux clairs et cherche le fil plausible d'une ligne de vie improbable qui l'a conduit à explorer deux terrains divergents. Suivre des nomades aux confins de l'Orient et étudier le rapport homme-bêtes au coeur de l'Occident. Diriger l'unité «sciences sociales du monde iranien contemporain» du CNRS et enseigner l'anthropologie de la domestication animale à l'Ecole des hautes études. Ecrire sur l'Iran (1) et les animaux de compagnie. Etre élu président de la section «unité de l'homme et diversité des cultures» du Comité national de la recherche scientifique, en dépit d'un parcours excentrique. Mais après tout, c'est vrai. Jean-Pierre Digard a eu beaucoup de chance. Pour son bonheur, il n'est pas devenu normalien, par exemple, prototype de ces «gens brillants» qu'il déteste, de ceux «qui savent tout sur tout». Il a eu la chance, en revanche, d'être trop mauvais élève pour entrer au lycée, de «s'intéresser à tout sauf à ce qui est enseigné en classe» comme dit son prof du «cours complémentaire» aux Arts et Métiers et de rater sa prépa à l'école vétérinaire, entre autres aubaines décisives pour sa carrière. La chance, aussi, d'avoir un père ingénieur, fou d'oiseaux, qui élevait des centaines de canaris dans une chambre de bonne de leur immeuble de Charenton. La chance, encore, d'avoir pour médecin de famille la toubib de garde le dimanche au cirque Bouglione qui l