Saint-Omer (Pas-de-Calais), envoyée spéciale
Au bout de la rangée de déportés qui travaillent à la fabrication des V2 dans l'usine souterraine du camp de Dora, Léon Navarro est le seul à regarder l'objectif. Il est aussi le seul survivant de cette photo. Il avait 18 ans en 1944, il en a 75 aujourd'hui et il découvre pour la première fois l'agrandissement de la photo. «Je ne voulais pas être pris, mais le photographe exigeait que je me recule pour que l'on me voie. On m'a frappé jusqu'à ce que je sois suffisamment en arrière. Ils avaient arrêté la chaîne et nous devions poser en train de travailler. Le photographe avait rajouté des câbles pour meubler et trois prisonniers supplémentaires.» Les souvenirs affluent, puis Léon Navarro s'arrête brusquement, le regard perdu dans le vide. «Au premier plan, c'est Jean Maupoint, son uniforme est plus usé que le nôtre car il était là depuis plus longtemps. C'était un chansonnier de Clermont-Ferrand qui se moquait des Allemands, alors ils l'ont raflé. Il est mort peu après la Libération.» Léon Navarro était résistant à Grenoble lorsqu'il a été arrêté en novembre 1943. Envoyé à Compiègne puis à Buchenwald avant d'atterrir à Dora, près de Nordhausen, au milieu de l'Allemagne. Electricien de formation, une chance, il est affecté dans le hall où l'on prépare les connexions électriques entre la fusée et sa table de tir: «On soudait des petits relais, moi je faisais des câbles d'alimentation, des coffrets. Nous avons vite compris ce que nous