Ce matin-là, le quadragénaire Albert s'est coupé en se rasant. Il s'est fait une petite entaille au pli des lèvres. Une blessure bête. D'autant plus bête qu'Albert en meurt trois mois plus tard. Entretemps, la plaie s'est infectée et l'infection a gagné la joue. Puis l'oeil, le cuir chevelu, les poumons, l'épaule droite. En décembre, Albert est entré au dispensaire de Radcliffe, près d'Oxford. Le 15 mars 1941, c'en est fini pour lui. Les staphylocoques dorés l'ont emporté. Septicémie généralisée.
Des cas de ce genre, il y en avait hélas plein les hôpitaux britanniques, en ces années de bombardement. Cependant, l'agent de police Albert Alexandre est un mort extraordinaire. Le 16 août 1941, il fait l'objet d'une publication dans l'hebdomadaire médical The Lancet et il devient, pour les deux côtés du monde en guerre, le porte-drapeau d'un formidable espoir: bientôt, on saurait soigner les infections les plus redoutables.
C'est qu'Albert a joué à son insu le rôle de «cobaye humain». Et il a frôlé le miracle, la rémission définitive, l'impensable sauvetage. Le 12 février, les docteurs Howard Florey et Ernst Chain lui avaient injecté 200 milligrammes d'une poudre jaune qu'ils venaient d'extraire d'une moisissure, une substance jamais testée sur l'homme. Toutes les trois heures, ils lui en avaient encore administré, à plus faibles doses. Dès le lendemain, sa fièvre tombait. Cinq jours plus tard, son oeil droit semblait sauvé. Albert guérissait, il fallait poursuivre le traitement. Ma