En ce temps-là, il y a quelques millions d'années, les hommes
n'étaient pas tout à fait des hommes et leur langage pas tout à fait un langage. Ou plutôt, c'était un langage «non syntaxique», comme disent les linguistes. En ces temps reculés, un mot comme «Rgââârdhlàà!» aurait été utilisé pour résumer un scénario du genre: «Là, à droite, il y a un tigre qui rampe sous les bananiers, et il a l'air encore plus affamé qu'hier!» Ce langage non syntaxique est d'ailleurs le seul qu'utilisent les animaux pour communiquer, à l'exception, peut-être, des grands singes et des dauphins, qui disposeraient d'une ébauche de syntaxe. Mais pourquoi la communication chez l'homme est-elle devenue syntaxique, et dans quelles conditions? Parce que la société avait atteint un niveau de complexité tel qu'il devenait urgent de se faire comprendre un peu plus clairement. C'est en utilisant un modèle mathématique basé sur la théorie du jeu que l'équipe de chercheurs dirigée par Martin A. Nowak (université de Princeton, New Jersey) est arrivée à cette conclusion publiée récemment dans la revue Nature parue le 30 mars. Capacité innée. Leurs travaux se situent dans la problématique de l'évolution du langage, un sujet très controversé chez les linguistes. Au départ, une certitude: le langage est unique à l'homme. Mais comment l'homme apprend-il à parler? Il y a trente ans, le linguiste américain Noam Chomsky a lancé une hypothèse, aujourd'hui largement acceptée: tout enfant naît avec une capacité innée