«Créer une alternative à l'hégémonisme technologique américain.» Difficile d'accuser Roger-Maurice Bonnet, auteur du propos, d'antiaméricanisme primaire. Directeur, depuis dix-huit ans, du programme scientifique de l'Agence spatiale européenne (ESA), c'est un familier des coopérations tissées par-dessus l'Atlantique. Pour observer le Soleil, visiter Saturne ou tirer le portrait des galaxies. Mais l'exploration de l'espace, même à des fins purement scientifiques, est au coeur d'enjeux économiques et stratégiques mondiaux.
Dans un passé récent, la compétition entre les Etats-Unis et l'URSS a servi de moteur aux investissements massifs. Aujourd'hui, l'enjeu principal se joue entre Américains et Européens, dans un monde qui a besoin «d'équilibre et non de domination», estime Roger-Maurice Bonnet. La domination actuelle, celle des Etats-Unis, est en partie due à l'effort spatial militaire et civil qui représente plus de cinq fois l'effort européen. Le contribuable français consacrera plus d'argent pour combler le trou du Crédit Lyonnais que pour financer dix ans de budget spatial.
La conquête de Mars est ainsi essentiellement américaine. Certes, en 2003, l'Agence spatiale européenne lancera Mars Express, mais pour la suite, rien n'est prévu. Logique: lorsque l'ESA lance une mission de 150 millions d'euros, la Nasa projette une ou deux missions tous les deux ans, et d'environ 400 millions de dollars par an. Des engagements financiers supérieurs au budget scientifique total de l'ESA.