Le pli cacheté est arrivé par la poste aux armées un jour de février 1940. «Académie des sciences, 23, quai de Conti, à Paris.» L'expéditeur? Wolfgang Doeblin, fils de l'écrivain Alfred Doeblin, naturalisé français avec sa famille après avoir fui l'Allemagne en 1936, brillant chercheur et plus jeune docteur en mathématiques de l'époque. Signe particulier: télégraphiste au 291e régiment d'infanterie dans les Ardennes. Au front.
Wolfgang Doeblin tient au contenu de sa lettre comme à la prunelle de ses yeux. A l'intérieur, un pli cacheté avec une mention: «Sur l'équation de Kolmogoroff.» Il n'est jamais revenu le chercher. «La nuit du 20 au 21 juin 1940 est la dernière du soldat Doeblin. Il sait que la reddition est imminente, que le combat est inutile», peut-on lire dans un Comptes-rendus de l'Académie (1). Mais il refuse de tomber aux mains des Allemands.
Greniers. Il brûle ses travaux en cours dans le fourneau d'une ferme, et se donne la mort dans la grange. Avec une balle qu'il avait mise de côté au cas où. Doeblin sait son pli cacheté en lieu sûr. Rangé avec d'autres dans les greniers de l'Académie pour cent ans au moins. Ou jusqu'à ce que l'un de ses héritiers donne l'autorisation de le décacheter (lire ci-contre). La permission n'a été accordée qu'en avril dernier par son petit frère. «En le laissant scellé, je voulais suivre le désir de mon aîné», raconte Claude Doblin, dont le nom a été francisé.
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