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Apprendre à lire, un handicap ?

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par Pierre PICA
publié le 16 octobre 2007 à 0h49

Doit-on transmettre l'écriture et l'arithmétique aux populations indigènes isolées ? Avec mes collaborateurs brésiliens, c'est la question que nous nous posons au vu de récentes découvertes en neurosciences et en sciences cognitives. Il nous paraît urgent de repenser le partage des savoirs, à la lumière d'une science naissante qui combine les connaissances en neurologie et ethnologie et pourrait s'appeler la «neuroethnologie». Ces recherches semblent indiquer que notre cerveau ne peut apprendre sans limitation, et qu'en apprenant nous «désapprenons» aussi. Ce constat, déjà fait par la linguistique du début du siècle, est confirmé par des expériences en neuro-imagerie et étayé par mes propres observations sur le terrain. Lors de mes séjours annuels parmi les Mundurucus de l'Etat du Pará, au Brésil, j'ai constaté, chez ceux qui ne vont pas l'école, une aptitude que possèdent aussi les jeunes enfants : celle du calcul approximatif. Celui-ci se traduit par un système de comptage qui est limité. Par exemple, trois se dit vos deux bras, plus un. Utiliser ainsi son corps est une façon de développer «le sens de symétrie». Ce sens, très développé chez les Mundurucus, pourrait diminuer avec l'apprentissage de l'arithmétique et du calcul exact. De la même manière, la capacité à se repérer dans l'espace s'estompe à mesure de l'apprentissage de l'écriture.

Nous devons donc nous poser la question de la valeur de ce que nous «désapprenons» lorsque nous accumulons de nouveaux