«Quand j'étais jeune, je me suis aperçu que mes gros orteils finissaient toujours par trouer mes chaussettes, alors j'ai cessé d'en porter.» Citée en préambule, la phrase est attribuée au savant hirsute qui tire la langue, dont l'image, devenue célèbre, évoque tout à la fois le génie scientifique et le caractère débonnaire. Mais si Albert Einstein est l'homme de son temps, le siècle, lui, ne l'a pas ménagé. Voici donc reconstitué par le polytechnicien Alexandre Moatti, dans son dernier livre Einstein, un siècle contre lui, l'histoire de ces décennies d'opposition aveugle , laquelle n'est, étrangement, pas encore complètement éteinte de nos jours. Durant la première moitié du siècle, traversée par les deux guerres, son argumentation est marquée par l'antisémitisme. Coté allemand, tandis que deux prix Nobel de physique s'engagent avec les nazis, se définit une «physique aryenne» : basée sur l'expérience et le contact avec la nature, elle s'oppose à une prétendue «physique juive» truffée de formule mathématiques, qui serait donc éloignée de la réalité. L'astronome Bruno Thüring (1905-1989) publie en 1941, sous la houlette de l'Institut de recherche sur les questions juives, un opuscule de 60 pages dans lequel il qualifie la relativité générale de «pensée talmudique». Alors qu'en 1938, la prestigieuse revue Nature publie un article qui conclue à l'influence dommageable des Juifs dans la science allemande.
Côté Français, ce n'est guère mieux : le président de