Pascal Picq, paléoanthropologue au Collège de France, revient sur les relations entre les combats laïcs et l'enseignement de l'évolution, mis en cause par des groupes religieux.
La laïcité, dites-vous, est menacée par le créationnisme. Comment serait-ce possible ?
Entre les deux tours de la dernière élection présidentielle, j'ai publié un livre, Lucy et l'obscurantisme (1), dans lequel je décrivais l'histoire du créationnisme aux Etats-Unis d'Amérique, son expansion dans le monde et ses menaces en Europe et en France. J'avais proposé comme titre Lucy et la laïcité, ce qui fut accueilli avec scepticisme par mon éditrice Odile Jacob. Que je défende les théories de l'évolution contre des mises en cause par des courants de pensées religieux, extérieurs à la science, va de soi, mais que j'aille sur le terrain de la laïcité, voilà qui étonnait. Ces réactions montrent, hélas, que les créationnistes et les partisans du dessein intelligent (Intelligent Design, ID) avaient bien oeuvré puisque les laïques ne voyaient là qu'une controverse autour des seules théories de l'évolution. Les créationnistes et les adeptes de l'ID n'ont pas pour cible les théories de l'évolution en soi, mais utilisent fort intelligemment le fait que cette théorie, si mal comprise, contient tout ce qu'ils veulent combattre. C'est la première étape, celle qui doit, selon la «stratégie du coin» (the wedge strategy) engager la suivante avec pour objectif d'imposer leur conception du monde