Cher Monsieur Darcos,
J'ai lu avec intérêt vos déclarations relatives à la nécessité d'améliorer la productivité des enseignants. Ayant consacré une bonne part de ma carrière universitaire à réfléchir à cette question, je me permets de vous faire part de quelques suggestions que j'avais eu l'occasion d'exposer il y a cinquante ans dans la prestigieuse revue Science (1).
J'y proposais l'introduction de «machines à enseigner», capables d'automatiser une bonne partie des tâches des enseignants. Il ne s'agissait pas, même à terme, de se passer d'eux, mais de les libérer de leurs tâches fastidieuses pour aboutir à cette «redéfinition du métier d'enseignant» que vous appelez de vos voeux.
Cette idée, je la tirais de mes recherches qui m'ont valu d'être considéré comme un des plus grands psychologues du siècle passé. En travaillant sur le rat et le pigeon, j'avais mis en évidence ce que j'ai appelé le «conditionnement opératoire», par lequel on peut apprendre à un animal une tâche complexe en la décomposant en une séquence de tâches élémentaires, qui sont chacune apprises en offrant une récompense lorsqu'elles sont effectuées correctement.
Convaincu que le comportement humain obéit aux mêmes lois que celui de l'animal, j'entrepris d'appliquer ma «science de l'apprentissage» à «l'art d'enseigner». Une de mes premières machines, que j'ai présentée à mes collègues de Harvard en 1954, servait à enseigner à un enfant le mot «manufacture». Ce