Appelons-le Albert. Il ne protestera pas, c’est un manchot. Royal, donc orné d’une tache orange à l’arrière de la tête. Il niche sur l’île de la Possession, dans l’archipel Crozet, en plein cœur de l’océan Antarctique. Mais un beau matin d’avril, début de l’hiver local, Albert a disparu. Comme tous les ans à la même époque, il a laissé sur l’île son poussin, qu’il nourrissait jusque-là de ses prises de pêche. Le petit, qui pèse ses 12 kilos mais ne sait encore ni nager ni pêcher, a formé une crèche avec ses copains. Où est donc passé papa Albert ? Et quand reviendra-t-il ?
Charles-André Bost, biologiste au Centre d'études biologiques de Chizé (CNRS), niche alors lui aussi sur l'île de la Possession. Et il se pose la même question. Où vont donc les manchots royaux adultes durant trois à cinq mois d'hiver ? C'est une période périlleuse pour les poussins, qui jeûnent, perdant jusqu'aux deux tiers de leur poids, «un record dans le monde animal», souligne le biologiste. Mais, pour la première fois, Charles-André Bost a bon espoir de connaître la réponse.
Quelques mois plus tard, c'est fait. Il sait. Comme tous les autres manchots royaux de la colonie, Albert a passé l'hiver à se goinfrer aux limites de la banquise antarctique, à 1 800 km de l'archipel Crozet. Et il est revenu nourrir son poussin. Comment le biologiste a-t-il su où était Albert ? Dans cette zone, dangereuse, plongée dans la nuit, nul navire océanographique ne circule. «Et de toute façon, précise-t-il, l