«Je me demande quels secrets on cherche lorsqu’on lit, en particulier un livre de fiction. Cette question me vient de la psychanalyse. Elle m’a fait découvrir à quel point nous sommes des êtres de langage, de récits : de la petite enfance à la vieillesse, on se construit en se racontant des histoires. Dans une précédente recherche, j’avais étudié comment la lecture active cette narration intérieure. Ces dernières années, je me suis interrogée sur les aspects réparateurs de la lecture pour ceux qui ont traversé de très grandes épreuves. Le sujet n’est pas neuf. De nombreux écrivains ont dit combien la lecture ou les souvenirs de poésies, de romans, les avaient aidés. Ainsi Robert Antelme, prisonnier à Buchenwald ; Chalamov, déporté en Sibérie ou Jean-Paul Kauffmann, otage au Liban. Cependant, la plupart de ceux qui en ont témoigné avaient eu accès, très jeunes, à la culture écrite. Je me suis donc demandé si la lecture pouvait aider des gens qui avaient grandi loin des livres.
«J’ai notamment étudié cette question en Argentine et en Colombie, où des médiateurs culturels organisent des séances de lecture à voix haute pour d’anciens guérilleros, des toxicomanes, des personnes déplacées ou, simplement, des gens très démunis. La plupart du temps, ces séances se déroulent hors d’un cadre éducatif ou thérapeutique classique, dans des espaces de liberté, sans souci d’une rentabilité immédiate. Il y existe du jeu, dans tous les sens du terme. Bilan : rien de magique, mais quelques rés