«Mon champ de travail, c'est l'histoire de la médecine, de la Renaissance au XVIIIe siècle. Ma spécialité, c'est l'évolution des idées qui forgent les représentations du corps humain. Entre ces deux plans, il y a un fil conducteur fort : la médecine est l'un des principaux fournisseurs d'idées sur la nature, l'organisation et le fonctionnement du corps. Elle construit un savoir sur le corps et elle le véhicule via, notamment, la pratique médicale de terrain.
Je tente de comprendre, en étudiant les textes savants et la littérature, comment les idées sur le corps circulent du monde des experts à celui des profanes et de suivre leur évolution. Certaines représentations continuent de fonctionner dans le grand public longtemps après qu'elles sont devenues obsolètes pour la médecine. Un exemple : la théorie du corps composé de quatre humeurs (sang, bile jaune et noire, flegme) qu'il faut purger, car leur déséquilibre rend malade. Elle fut centrale dans le savoir médical jusqu'au XVIIIe siècle. Mais elle reste en partie active, aujourd'hui, dans les représentations communes du corps.
Il est frappant que certaines idées contemporaines du corps portent l'empreinte de représentations bien antérieures à la médecine moderne. Ainsi, l'exposition "Our Body", qui présente, en ce moment à Paris des cadavres "préparés", connaît un succès d'autant plus grand qu'elle fait polémique : les sujets ont-ils donné leur accord de leur vivant ? Peut-on exhiber des cadavres dans un