Pierre Deligne le dit d'une voix très douce avec un accent belge délavé, mais toujours présent : «Je suis ignorant.» Quand on lui a demandé si des peintres pouvaient le toucher, il a cité les Nymphéas de Monet, ajoutant aussitôt : «Mais, vous savez, je suis ignorant.» Le mot prend une saveur particulière dans la bouche d'un homme à qui sera remis aujourd'hui le prix Abel, mis en place par l'Académie norvégienne des sciences et lettres. Pierre Deligne aura obtenu les trois «prix Nobel» qu'un mathématicien peut espérer dans sa vie. En 1978, la médaille Fields décernée tous les quatre ans à quatre chercheurs de moins de 40 ans. En 1988, le prix Crafoord mis en place par l'Académie royale de Suède pour couronner l'œuvre d'une vie consacrée à la recherche. Et donc, maintenant, le prix Abel.
«Il ne "croit" pas, il est "agnostique". Il paraît souffrir dans tout son corps de spéculations dont il ne voit pas ou plus le fondement. De ses rêves mathématiques, il ne laisse percer que ceux pour lesquels, à défaut de preuves, il peut justifier un cheminement rigoureux de pensée. C'est ça qui est extraordinaire chez lui», dit Hélène Esnault, mathématicienne franco-allemande qui, entre Chicago et Berlin, où elle enseigne, a fait un détour par l'Institut des hautes études scientifiques (IHES), à Bures-sur-Yvette (Essonne), au sud de Paris, pour assister aux cours de Pierre Deligne qu'elle place très haut au panthéon des mathématiques. L'intitulé du cours, «