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Libération
Critique

Population mondiale : les faits d’une bombe

publié le 22 janvier 2015 à 18h26

Qu'est devenue la «bombe P» ? Au milieu des années 70, racontent les démographes Yves Charbit et Maryse Gaimard, la bombe P, pour «population», faisait courir démographes, diplomates et organisations onusiennes. En 1974, à la première conférence mondiale sur la population, organisée à Bucarest, il n'y a guère de doute sur son explosion prochaine. A l'époque, l'espèce Homo sapiens compte 4 milliards d'individus vivants, contre 3 milliards en 1960, 2 en 1927 et un seul en 1803. L'accélération semble non seulement fulgurante, mais surtout grosse d'une menace, pour l'essentiel vécue comme venant d'un «tiers monde» puisque les pays industrialisés ont à l'époque effectué leur «transition démographique», offrant la perspective d'une stabilisation à long terme de leurs populations.

Si le constat est partagé, on s’affronte sur la réaction. Certains réclament des politiques de planning familial et l’usage massif de la contraception. D’autres rétorquent que le développement économique est le meilleur des contraceptifs.

Les deux auteurs racontent la passionnante histoire qui suivit. Car, si nous avons dépassé le septième milliard en 2012, c'est à un rythme d'un milliard tous les treize ans, donc quasi identique à celui de 1974. La bombe P n'a donc pas explosé, pourraient penser certains. Ils seraient d'autant plus enclins à s'interroger sur la science des démographes que les deux auteurs s'ingénient à nous montrer qu'ils ne se sont pas seulement trompés quant aux prévisions. Leurs explications des évolutions démographiques, du moins celles qui étaient de mise dans les années 70, se sont écroulées. La fameuse transition démographique et ses moteurs canoniques des pays industrialisés à l'époque ont fait place à des histoires et des trajectoires, de fécondité surtout, qui ont désarçonné les spécialistes. Comme la politique de l'enfant unique en Chine ou les croissances démographiques très élevées au sud du Sahel et au nord de l'Afrique du Sud - près de 6% par an aujourd'hui. Ou le contraste entre l'Irak et la Jordanie (près de 3%) et l'Iran, l'Inde ou le Bangladesh (de 1,3% à 1,6%). «Pourquoi et comment la fécondité a-t-elle diminué partout dans le monde en développement sauf dans trois régions d'Afrique et quelques rares pays du Moyen-Orient ?» s'interrogent-ils.

L’ouvrage donne de nombreux exemples de ces trajectoires, en particulier les cercles vertueux ou vicieux de la scolarisation, lorsqu’elle est réussie ou non. L’un des points saillants en est les rôles démographique et économique des migrations, en particulier par les transferts d’argent des émigrés, comme le montrent les cas présentés, du Kerala (Inde) au Sénégal.

Pourtant, tout à leur déconstruction des idées trop simples, les deux auteurs ne reviennent pas sur la bombe P. Or le paradoxe est là : au regard des pressions qu'exercent et que vont exercer les 7 milliards d'Homo sapiens sur les ressources naturelles, elle a déjà explosé.